Les Sources de la Science de l’Imam:

L’Imam reçoit son savoir le plus subtil et le plus profond par l’intermédiaire de l’inspiration (ilhâm) du monde de l’invisible (‘âlam al-Ghayb).
Le Noble Coran est en soi une source intarissable de savoir pour les purs Imams. Grâce à la vaste intelligence dont ils sont doués, et de par leur vision religieuse, il leur fut toujours possible de dégager les prescriptions en matière de la Loi, et de répondre aux questions religieuses, en s’appuyant sur ce livre divin.
Leur troisième source est celle des livres (sahâ’if) compilés par leurs ancêtres et qui recueillent les enseignements que le Prophète a prodigués à ‘Ali et à sa Famille en particulier.
Les traditions font cas, en plusieurs endroits, de ces trois sources de la connaissance des Imams. A titre d’exemple: Koleyni rapporte dans al-Osûl al-Kâfi que l’Imam Ja’far al-Sâdeq a dit à Abu Basîr:
“Ô Abu Muhammd, Dieu -Exalté soit-Il-, n’a rien accordé aux prophètes qu’Il n’ait accordé aussi à Muhammd -que les salutations divines soient sur lui et sur sa Famille-. Il a accordé à Muhammd tout ce qu’Il a accordé aux autres prophètes, et nous avons en notre possession les feuillets dont Dieu dit dans le Coran qu’ils sont “les feuillets d’Abraham et de Moïse”.
Abu Basîr lui demanda alors: “Que je sois sacrifié pour toi, s’agit-il des tablettes de la Loi?”
Il répondit: “Oui” Le même Koleyni rapporte que l’Imam Réza a dit:
“Quand Dieu choisit un homme pour l’investir de la direction de Ses créatures, Il lui ouvre le cœur pour cela, pour y déposer les sources de la Sagesse, puis Il l’inspire de façon à ne plus rester silencieux devant une question, et qu’il ne montre pas de l’hésitation à y répondre.
Il devient un être parfait, infaillible, soutenu par Dieu, réussissant par Lui, mis à l’abri des erreurs et des bévues, Dieu le privilégie en cela afin d’en faire Sa preuve contre Ses créatures, Son témoin contre Sa création; ceci est une faveur que Dieu accorde à qui Il veut, et Dieu est détenteur de la grande faveur.(1)
Al-Hassan ibn al-Abbas al-Ma’rûfi a écrit à l’Imam Réza pour l’interroger au sujet de la différence entre un Envoyé (Rassoul), un prophète (Nabî) et un Imam. Il lui répondit:
“L’Envoyé est celui auprès de qui descend l’Ange Gabriel, qui le voit, et entend ses paroles, et reçoit de lui la Révélation. Il se peut aussi qu’il voie en songe la même vision que celle d’Abraham. Le Prophète peut entendre la parole de l’Ange; il peut aussi voir l’ange sans entendre la parole. L’Imam entend la parole, mais ne voit pas la personne.” (2)
L’Imam Moussa al-Kâzim (septième Imam du chiisme) a dit:
“La portée de notre science est de trois facettes: le passé, le présent et le futur. Le passé est ce qui s’interprète, le futur ne pourrait être prévu d’avance; quant au présent c’est-à-dire l’actuel, il est projection sur les cœurs et percement de l’oreille; il est le meilleur de notre science. Mais il n’y aura pas de prophète après notre Prophète.” (3)
Par conséquent, les effusions spirituelles que recevait le Prophète ont continué à s’écouler en direction des Imams, car la relation entre le Créateur et les créatures ne se rompt pas avec la mort des prophètes et des Envoyés.
Quant au profit que tirent les Imams du Noble Coran, d’autres traditions en font état.
L’Imam al-Bâqer a dit:
“L’exégèse du Coran et la connaissance de ses prescriptions en matière légale font partie de la science qui nous a été accordée, de même que la science des évènements qui surviennent dans le temps.
Quand Dieu veut du bien à des gens, il les fait entendre (la voix de l’Ange); et s’Il fait entendre celui qui n’entend pas; celui-ci s’en retourne comme s’il n’avait pas entendu…”
Puis l’Imam ajouta: “Si nous trouvions des réceptacles (pour nous entendre) nous dirions notre science. Dieu est notre aide!” (4)
Koleyni rapporte aussi que l’Emir des croyants a dit à propos du Coran:
“Il y a en lui la science du passé, et la science de ce qui adviendra jusqu’à la Résurrection. Il contient aussi, les règlements de vos litiges, et l’éclaircissement de ce sur quoi vous divergez. Et si vous m’interrogiez là-dessus, je vous en enseignerais.” (5)
Citons aussi cette parole de l’Imam Sâdeq:
“Il y a dans le Livre de Dieu, des informations sur ceux qui vous ont précédés, des nouvelles de ce qui se passera après vous, et le règlement de vos litiges, et Nous (les Imams) le savons.” (6) Sumâ’a ibn Mehran, l’un des compagnons de l’Imam Moussa ibn Ja’far a demandé à l’Imam:
“Est-ce que toute chose est dans le Coran et la tradition du Prophète, ou bien avez-vous une parole différente?
L’Imam répondit: “Non! Tout est dans le Livre de Dieu et la tradition de Son Prophète.” (7)
La science de l’interprétation du Coran est une science de l’invisible, c’est-à-dire qu’elle ne s’obtient pas par les voies du raisonnement et de l’apprentissage naturel. L’interprétation du Coran qui consiste à mettre en évidence le sens profond de la parole divine, ne peut être acquise que par une effusion divine.
Le Coran parle dans la sourate La famille de ‘Imrân (Ale ‘Imrân) de ceux qui ont une connaissance profonde (al-râsikhûn fi-l- ‘ilm), des hommes qui sont capables d’interpréter les versets ambigus. Beaucoup de traditions attestent que les Imams ont cette capacité.
Dans le tafsîr d’al-Ayyâchi, al-Fodhayl ibn Yassâr rapporte qu’il a interrogé Abu Ja’far al-Bâqer au sujet de la tradition suivant laquelle: “il n’est pas de verset dans le Coran, qui n’ait pas une face apparente et une face cachée, ni de lettre qui n’ait pas de limite, ni de limite qui n’ait pas son ascendant (matla’).” Il a demandé à l’Imam: “Que signifient apparent et caché?”
L’Imam répondit: “Sa face apparente est celle de la descente, sa face cachée (bâtin) est celle de son interprétation. Il en est qui se rapporte au passé, et il en est qui n’est pas encore advenu, suivant son parcours, comme le Soleil et la Lune; à chaque fois qu’une chose vient de lui, elle se produit, Dieu dit: “Seul Dieu et ceux qui ont une science profonde en connaissent l’interprétation” et Nous (les Imams) la connaissons.” (8)
Koleyni rapporte dans Ossoul al-Kâfi que les Imams al-Bâqer et Sâdeq ont dit:
“L’Envoyé de Dieu est le meilleur de ceux qui ont une science profonde. Dieu lui a enseigné tout ce qu’Il lui a révélé, comme sens manifestes, aussi bien que comme sens cachés. Dieu n’a pas fait descendre sur lui quelque chose dont Il ne lui enseignerait pas l’interprétation. Ses légataires, après lui, la connaissent entièrement…” (9)
Quant à la troisième source dont profitent les héritiers et successeurs du Prophète, elle consiste dans les Sahâ’if (feuillets) transmis d’Imam à Imam.
L’Imam Sâdeq a dit:
“Nous possédons ce qui nous dispense du recours aux gens; alors que les gens ont besoin de nous. Nous avons un livre dicté par le Prophète, et écrit de la main de ‘Ali, un feuillet contenant tout le licite et l’illicite…” (10)
Al-Saffâr rapporte dans le Basâ’ir al-darajât que Muhammd ibn Muslim a interrogé le sixième Imam:
“Quelle est l’importance de la science héritée?
Concerne-t-elle seulement les généralités ou bien embrasse-t-elle toutes les choses dont parlent les hommes, comme le divorce et les parts des héritiers?”
L’Imam lui répondit: “‘Ali a écrit de sa main toute la science, la façon de juger et les devoirs qui incombent à chacun…”
Il rapporte aussi cette parole de l’Imam al-Bâqer:
“L’Envoyé de Dieu a dit à l’Emir des Croyants: “écris ce que je vais te dicter!”
‘Ali dit: “Ô Prophète de Dieu, crains-tu que j’oublie?”
Il dit: “Je ne crains pas l’oubli pour toi, puisque j’ai prié Dieu de te donner une mémoire parfaite; mais écris pour ceux qui sont tes associés!”
‘Ali dit: “qui sont mes associés?”
Le Prophète dit: “Les Imams de ta descendance! C’est par eux que ma communauté recevra la pluie, par eux que ses vœux seront exaucés, par eux que les malheurs seront écartés d’elle, que la Clémence divine descendra du ciel. Et celui-ci en est le premier (montrant Hassan, le fils aîné de ‘Ali).”
Puis désignant Hussein, le Prophète ajouta: “Les autres Imams viendront de celui-là.” (11)
Cette tradition est aussi rapportée de l’Imam Sâdeq:
“Les écrits étaient tous en possession de ‘Ali. Quand il se rendit en Irak, il les a confiés à Umm salama. Après sa mort, ils ont été remis à Hassan. Puis, après lui, à Hussein. Puis à ‘Ali ibn Hussein, puis à mon père.” (12)
L’Imam al-Bâqer a dit à Jâbir:
“Si nous donnions aux hommes, des réponses à leurs questions en matière religieuse, en nous appuyant sur notre opinion et comme bon nous semble, nous serions dans la perdition. Or, nous répondons à leurs questions en nous appuyant sur les traditions du Prophète, et sur des recueils de science que nous héritons de père en fils, et que nous protégeons comme tous ces gens qui cachent leur or et leur argent”(13)
Al-Qandûzi, auteur sunnite, rapporte une tradition extraite du livre al-Manâqib d’ibn al-Maghâzilî, que Yahyâ ibn Umm al-Tawîl a rapporté avoir entendu ‘Ali dire:
“Avant même qu’il soit mis par écrit, je savais, pour tout verset, en quelle circonstance et à propos de qui, il a été révélé. J’ai dans mon cœur une science immense; interrogez-moi avant que vous ne me perdiez.”
L’Imam ‘Ali a dit aussi:
“Quand j’étais absent au moment de la descente d’un verset, le Prophète m’enseignait ce qu’il venait de recevoir de versets coraniques dès que je le rejoignais, en me disant:
“Ô ‘Ali, Dieu m’a révélé tel et tel verset pendant ton absence.
Son interprétation est ceci ou cela. Et il m’apprenait son sens intérieur et son sens extérieur.” (14)
On rapporte aussi la parole que ‘Ali adressa à Komeyl ibn Ziyâd:
“Il y a ici (désignant sa poitrine) une science abondante! Si je pouvais trouver des hommes pour la porter! Mais je ne trouve que des hommes qui n’inspirent pas confiance, qui se servent de la religion comme d’un moyen pour gagner ce monde-ci…”
On lui prête aussi ces propos:
“L’Envoyé de Dieu m’a enseigné mille portes de la science; chaque porte m’ouvrant à son tour sur mille autres portes.” (15)
Il est évident que l’enseignement dont il est ici question n’est pas du tout du même genre de pédagogie que l’on applique communément dans les écoles. C’est un enseignement initiatique mettant en œuvre la dignité de guide intérieur inhérente au Prophète de l’Islam, et qui lui permet d’inculquer par un acte miraculeux une science que des milliers d’années de travail studieux ne pourraient acquérir.
Salîm ibn Qays al-Hîlalî al-Amîrî a rapporté que ‘Ali disait souvent:
“Tous les compagnons qui interrogeaient le Prophète ne comprenaient pas ses réponses. Il y en avait qui interrogeaient, mais qui ne comprenaient pas la réponse, et d’autres qui ne posaient jamais de questions et qui attendaient qu’un étranger vienne pour interroger le Prophète, pour qu’ils écoutent eux aussi la réponse.
Or, j’avais avec le Prophète une rencontre privée de jour et une autre de nuit, ou je le suivais dans tous ses actes. Les compagnons de l’Envoyé de Dieu savent qu’il ne fit cela qu’avec moi. Le plus souvent, mes rencontres avec le Prophète se faisaient chez moi. Quand il m’arrivait d’être chez lui, il demandait à son épouse de nous laisser seuls, de sorte que j’étais seul avec lui. Mais quand il venait chez moi, Fâtima (mon épouse) et mes enfants restaient avec nous.
Il me répondait quand je l’interrogeais. Quand je me taisais, et que je n’avais plus de questions, il prenait l’initiative d’ouvrir pour moi un autre sujet.
Il n’est aucun verset qu’il ne m’ait inculqué, qu’il ne m’ait dicté et que je n’aie écrit de ma main, et dont il ne m’ait enseigné l’interprétation, ainsi que le verset qui l’abroge ou celui qui est abrogé. Il m’a appris l’interprétation et l’exégèse de tous les versets, m’indiquant ceux qui sont fermes et ceux qui sont ambigus, les particuliers et les généraux. Il a prié Dieu de m’accorder la compréhension et la mémorisation. Je n’ai oublié aucun verset du Livre de Dieu, ni aucune science que j’aie écrite sous sa dictée, depuis qu’il a fait cette prière en ma faveur.
Il n’a omis aucune des choses que Dieu lui a enseignées, en matière de licite et d’illicite, de commandements et d’interdits, de ce qui fut ou de ce qui sera, ou de tout livre révélé à des prophètes avant lui, et comportant des prescriptions relatives à l’obéissance ou à la désobéissance à Dieu. Je n’ai pas oublié une seule lettre.
Il posa sa main sur ma poitrine, en priant Dieu de remplir mon cœur de science, d’intelligence, de sagesse et de lumière.
Je dis alors:
“Ô Prophète de Dieu, par mon père et ma mère, depuis que tu as fait cette prière, je n’ai pas oublié une seule chose, je n’ai oublié rien de ce que je n’ai pas mis par écrit Crains-tu que plus tard j’en vienne à perdre la mémoire?”
Il me répondit:
“Non, je ne crains pas pour toi l’oubli et l’ignorance.” (16) Evidemment c’est d’un homme doué de ces qualités que le Prophète de l’Islam a dit:
“Je suis la Cité de la Science, et ‘Ali en est la porte.
Quiconque veut entrer dans la Cité de la Sagesse, qu’il y entre par sa porte.” (17)
Les compilateurs ont rapporté aussi d’autres versions de cette tradition. (18)
Pour assurer à la communauté musulmane une source de connaissances sûre et intarissable, le Prophète s’est attaché à confier toute sa science à un homme capable de la recevoir, puis de la mettre à la disposition des croyants, dans l’état ou il l’a reçue.
Al- Qandûzi rapporte aussi dans son livre Yanâbi ‘al-Mawadda, la parole de ibn Abbas qui a entendu l’Envoyé de Dieu dire:
“Quand je suis allé à la rencontre de mon Seigneur, Il m’a parlé et m’a fait des révélations. Je n’ai rien appris que je n’aie enseigné à ‘Ali, car il est la porte de ma science.” (19)
La même source ajoute que l’Imam Hossein a dit:
“Les compagnons du Prophète l’ont questionné quand fut descendu le verset 12 de la sourate Yâsîn:
“Toute chose, est par Nous, dénombrée dans un archétype explicite.”
Ils ont demandé: “Ô Prophète de Dieu, s’agit-il de la Thora, de l’Evangile ou du Coran?
Le Prophète répondit: “Non, d’aucun.” Puis, il désigna mon père (‘Ali Ibn Abi Tâleb) et dit: “Il s’agit de cet Imam dans lequel Dieu a déposé la science de toute chose.” (20)
De même, ‘Ali, l’Emir des Croyants a dit:
“Le Prophète avait coutume de s’isoler -pour la contemplation- à Hirâ; je le voyais alors que personne d’autre ne le voyait. Il n’yavait alors dans la maison de l’Islam, personne d’autre que l’Envoyé de Dieu, Khadija (son épouse) et moi-même. J’y voyais la lumière de la révélation et de la Mission, et je sentais le parfum de la prophétie. J’ai aussi entendu la plainte de Satan, lorsque la révélation fut descendue sur le Prophète.
J’ai alors dit: “Quelle est cette plainte, Ô Prophète de Dieu?” Il me dit: “C’est Satan, il vient de désespérer d’être adoré un jour. Ô ‘Ali tu entends ce que j’entends, et tu vois ce que je vois.
Cependant tu n’es pas un Prophète, mais tu es mon ministre.” (21)
Notes:
1-Ibid, p. 202.
2-Ibid, p. 176.
3-Ibid, p. 264.
4-Ibid, p. 229.
5-Ibid, p. 61.
6-Ibid, p. 61.
7-Ibid, p. 63.
8-Tafsîr al-Mizân, tome 3, p.74.
9-Koleyni: al- Osûl al-Kâfi tome 1, p.213.
10-Koleyni: al- Osûl al-Kâfi tome 1, p.241.
11-Al-Qandûzî al-Hanafi: Yanâbi’ al-Mawadda, p.22.
12-Voir Jâmi’al-Ahâdith al-Chi’a, tome 1, p. 141.
13-Voir Jâmi’al-Ahâdith al-Chi’a, tome 1, p. 130.
14-Voir: Yanâbi’ al-Mawadda, p. 83.
15-Voir: Ghâyat al-Marâm, p. 518.
16-Koleyni: al-Osûl al-Kâfi tome 1, p.64.
17-Khârazmi: Manâqib, p.40, etc…
18-Al-Qandûzi: Yanâbi al-Mawadda, p.74; Tirmidhî: Sah îh tome 13, p.171; Kans ul-‘Ummâl tome 6, p. 156 etc…
19-Voir: Yanâbial-Mawadda, p.69.
20-Voir: Yanâbial-Mawadda, p.77.
21-Nahj al-Balâgha, sermon 187.