Le Prophète parle de son héritier

L’Envoyé de Dieu (Que la Bénédiction d’Allah soit sur lui et sur sa Sainte Famille) n’a pas désigné Ali, comme son successeur à la tête des croyants à l’occasion du jour du Ghadir Khomm seulement Il le fit connaître dès la troisième année de sa mission, quand il reçut l’ordre divin de rendre publique la prédication que jusque-là il menait de façon discrète et secrète.

﴾Il reçut l’ordre d’annoncer sa mission d’abord à ses proches﴿ Sourate Les Poètes(al-Shouharaa)[26:214]

Il chargea Ali de transmettre son invitation à quarante hommes parmi les chefs de famille des clans des Banou Hachem, des enfants de Abdul-Muttalib et des Banou Abd-Manâf.

Les hôtes furent servis pendant trois jours; les deux premiers furent marqués par les propos futiles d’Abou Lahab. Au troisième jour, vint le tour de la nourriture spirituelle. Le Prophète se leva, rendit grâce à Dieu et poursuivit:

“Ô enfants de Abdul-Muttalib, j’en jure par Dieu, je ne connais aucun homme d’âge mûr parmi les Arabes qui soit venu à son peuple avec quelque chose de meilleur que ce que je vous apporte. Je vous apporte le meilleur de ce monde et de l’au-delà.

Dieu m’a ordonné de vous appeler à Lui. Qui donc parmi vous serait prêt à me soutenir dans cette mission et qui en contrepartie deviendrait mon frère, mon légataire testamentaire, et mon lieutenant parmi vous?”

Ali…répondit: “Moi! ô Prophète de Dieu, je serai ton soutien dans cette mission!”

Le Prophète prit Ali par l’épaule et dit: “Celui-ci est certes mon frère, mon héritier, mon successeur parmi vous. Ecoutez-le et obéissez-lui!”

Les gens se levèrent en ricanant, disant à Abou Taleb (père de Ali): “Il t’ordonne d’écouter ton fils et de lui obéir!” Personne n’a mis en doute l’historicité de cet évènement; même les historiciens les plus malintentionnés n’ont pu mettre en cause son authenticité.

Ainsi, le Prophète qui, au témoignage même du Coran, ne parle jamais inconsidérément a clarifié dès le début la question de l’autorité dans sa communauté, et a désigné Ali comme son successeur dès les premiers jours de sa mission.

Cet évènement porte un témoignage frappant de ce que la question du califat dépend directement de Dieu et de Son prophète, et de ce que les hommes ne sont aucunement autorisés à la traiter selon leurs caprices et leurs passions.

D’autre part, cet évènement nous montre comment dès l’origine, sont intimement liés la Prophétie et l’imamat, puisque le Prophète les annonce le même jour, à la même occasion.

Plus tard, et à plusieurs reprises, le Prophète rappellera que la question de l’autorité suprême dans la communauté relève de Dieu, et qu’il ne lui appartenait pas à lui, prophète, de décider comme il le veut.

Al-Akhnas ibn Châriq, chef de tribu arabe, déclara au Prophète, qu’il était prêt à embrasser l’islam, à condition qu’il soit désigné comme successeur du Prophète. Ce dernier lui répondit:

“Cette affaire appartient à Dieu. Il lui choisit celui qu’Il considère apte à l’assumer!”

Al-Akhnas désespéra, et renonça à supporter les épreuves de la foi, puisqu’il n’avait pas la promesse de devenir calife. Par conséquent avons-nous le droit de donner la préséance à un homme choisi par ses semblables contre un homme désigné par Dieu et Son Prophète! Comment un homme désigné par Dieu pourrait-il se mettre sous l’autorité d’un homme désigné par ses semblables. Le Coran nous met en garde contre la tentation de maintenir notre choix quand Dieu et Son Prophète ont décidé autrement.

Un autre exemple attestant que le Prophète a bien clarifié aux musulmans la position d’Ali comme son successeur désigné, nous est fourni par la tradition dite de la Manzala, c’est à-dire du rang, du grade. Le Prophète a prononcé cette tradition dans des circonstances particulièrement graves et menaçantes pour le jeune Etat de Médine.

La nouvelle était parvenue au Prophète que les armées de Byzance s’apprêtaient à lancer une attaque contre Médine. Elles avaient grand espoir d’arriver à leur peine sans encombre. Le Prophète s’empressa de lever une armée musulmane, l’équipant du mieux qu’il pouvait.

D’autre part, le Prophète avait appris que des Hypocrites préparaient un complot, qu’ils espéraient provoquer en mettant à profit l’absence du Prophète pendant son expédition.

Il décida de désigner Ali comme son lieutenant à Médine, en le chargeant de veiller au maintien de l’ordre, et de la justice. Les Hypocrites, pris de court, usèrent d’un stratagème, et firent propager la rumeur qu’Ali était tombé en disgrâce, qu’il n’avait plus l’amitié du Prophète, puisqu’il ne l’autorisait pas à participer à la bataille à ses côtés.

Ces rumeurs provoquèrent en effet une réaction d’Ali. Il rejoignit le Prophète, hors de Médine, pour lui faire part de sa tristesse. Le Prophète prononça alors la célèbre tradition qui définit éloquemment et sans aucune ambiguïté le rang et la place de Ali dans l’islam, en disant:

“Ô Ali! N’es-tu pas satisfait d’être par rapport à moi dans le même rang que celui de Haroun par rapport à Moïse, sauf qu’il n’y a point de prophète après moi?”

Beaucoup de traditionnistes sunnites ajoutent aussi ce propos du Prophète:

“Il ne convient pas que je sorte de cette ville à moins que tu n’y sois mon lieutenant.”*

Amer ibn abi Sa’d ibn Waqqâs, a rapporté que Mu’awiyya demanda à Sa’d ibn abi Waqqâs (qui fut un des plus violents opposants à Ali)” “Qu’est-ce qui t’empêche d’insulter Abou Toûrab (surnom de Ali ibn Abi Taleb)?” Il répondit:

“Je ne l’insulterai jamais tant que je garderais en mémoire trois paroles prononcées par l’Envoyé de Dieu (Que la Bénédiction d’Allah soit sur lui et sur sa Sainte Famille); si une seule de ces paroles m’avait concerné, cela m’aurait été préférable aux plus beaux délices.

Je ne l’insulterai pas tant que je me rappellerais le jour où il reçut la révélation, et rassembla sous son manteau Ali, Fatima et leurs deux enfants et dit: “Seigneur! Ceux-là sont les gens de ma Maison, ce sont les miens!”

Je ne l’insulterai pas tant que j’aurais en mémoire le jour où le Prophète le désigna comme son lieutenant avant de partir pour une expédition. Ali lui dit: “Tu me laisses pour garder des femmes et des enfants?”. Le Prophète lui dit: “N’es-tu pas satisfait d’être pour moi comme Haroun pour Moïse, sauf qu’il n’y aurait point de prophétie après moi?” Je ne l’insulterai pas tant que je garderais en mémoire la journée de Khaybar (La bataille), où l’Envoyé de Dieu (Que la Bénédiction d’Allah soit sur lui et sur sa Sainte Famille) dit: “Je confierai l’étendard à un homme qui aime Dieu et Son Prophète; et Dieu vaincra par ses mains.”

Dans cette tradition, le Prophète a clairement défini la position d’Ali vis à vis de lui, position qui est similaire à celle de Haroun vis-à-vis de Moïse, en ce qui concerne les questions politiques et communautaires; seule en est exclue la prophétie, car l’Envoyé de Dieu (Que la Bénédiction d’Allah soit sur lui et sur sa Sainte Famille) est le sceau qui ferme le cycle de la prophétie. Après lui, point d’autre prophète.

Or le Coran nous apprend que Dieu a répondu favorablement à toutes les demandes de Moïse concernant Haroun. Il en fit son ministre, son soutien, son successeur à la tête des Enfants d’Israel. Haroun a même atteint le rang d’envoyé.

Par conséquent, et en vertu de la tradition dite “tradition du rang”, Ali possède toutes les qualités de Haroun, exceptée celle de la prophétie.

Il en est qui affirment que la fonction de lieutenant du Prophète exercée par Ali ne fut valide que le jour où le Prophète était absent de Médine. Hors de cette occasion-là, Ali ne peut pas être dit lieutenant du Prophète, même après la disparition de ce dernier.

En fait, cette objection ne tient pas. Parce que le Prophète a choisi, en plusieurs occasions, des compagnons pour les représenter à Médine pendant ses absences, sans jamais les comparer à Haroun.

Il ne fit cette déclaration, lourde de conséquences, qu’à Ali ibn Abi Taleb.

Si le Prophète avait en vue une lieutenance provisoire, limitée dans le temps, à la durée de son absence de Médine, son propos excluant la prophétie aurait été une vaine parole. En d’autres termes, il aurait signifié quelque chose comme:

“Ô Ali, sois mon remplaçant en mon absence, mais ne sois pas prophète!”

L’exception de la prophétie ne prend de sens que si l’on comprend que les autres qualités de Haroun sont valables définitivement pour Ali, même après la disparition du Prophète.

En outre, la tradition prophétique prend toute son importance à la lumière des autres traditions prononcées en d’autres circonstances, et qui la corroborent Aux premiers temps de l’Hégire, quand les musulmans fuyant la Mecque avaient retrouvé leurs coreligionnaires à Médine,le Prophète voulut fraterniser entre eux. A chaque croyant il donna pour frère un autre croyant, afin qu’ils puissent s’entraider, se secourir mutuellement.

Ali vint essouffler et affligé au Prophète et lui dit: “Tu as fraternisé entre les musulmans, mais tu ne m’as pas choisi un frère parmi tes compagnons!”

Le Prophète lui répondit: “J’en jure par Celui qui m’a envoyé en vérité, je t’ai laissé en dernier afin que je te choisisse comme mon frère.”

En plusieurs occasions, le Prophète a appelé Ali, son frère.

Une citation d’Ibn Is’hâq apprend que:

“Le Prophète confraternisa entre les Muhadjirouns (Emigrés) et les Ansârs (musulmans de Médine), disant: “Soyez frères en Dieu, deux à deux.” Puis il prit la main de Ali ibn Abi Tâleb et dit: “Voici mon frère!” Ainsi, l’Envoyé de Dieu (Que la Bénédiction d’Allah soit sur lui et sur sa Sainte Famille), le maître des envoyés, le guide des hommes pieux, l’Envoyé du Seigneur des mondes qui n’a point d’égal était devenu le frère de Ali…”

Ibn Sa’d rapporte que l’Envoyé de Dieu (Que la Bénédiction d’Allah soit sur lui et sur sa Sainte Famille) intervenant dans une discussion entre Ali, son frère Ja’far et Zayd ibn Haritha, dit:

“Quant à toi, Ali, tu es mon frère, et tu es avec moi!”

Ibn Abdelbarr rapporte que le Prophète a dit à Ali: “ô Ali, tu es mon frère, et mon compagnon dans le Paradis!”

Voyons à présent ce que l’on peut déduire de cette fraternité.

En instaurant la fraternisation entre ses compagnons de Médine et ses compagnons émigrés de la Mecque, le Prophète ne voulait pas seulement régler par la solidarité, toute une série de problèmes sociaux que traversait la jeune communauté musulmane. Il voulait surtout inaugurer un modèle de rapports sociaux nouveau, supplantant le modèle tribal, et abolissant les privilèges et les pratiques allant à l’encontre des enseignements de la nouvelle religion.

Le premier critère du rapport communautaire allait être la foi: On est frère en Dieu. On aime pour Dieu et on déteste pour Dieu. Et le lien du sang allait être relégué au second plan.

La fraternisation entre le Prophète et Ali était intervenue dix ans auparavant, le jour où le Prophète invita tous ses proches afin de leur annoncer sa mission divine.

Par conséquent, elle ne pouvait se situer au même plan que la fraternisation entre les Muhadjirouns et les Ansârs.

Le Prophète et Ali n’avaient pas besoin d’un rapprochement; ils n’ont jamais été séparés. Ils étaient cousins, liés par la meilleure des amitiés.

Le mobile de leur fraternisation ne pouvait être que leur accord et leur affinité dans tous les domaines concernés par la foi nouvelle. Ali était le plus proche de par ses vertus, sa connaissance, et son esprit de sacrifice, du grand prédicateur de l’islam. Cette fraternisation est, comme nous l’avons vue dans la tradition, d’une portée éternelle, ne se limitant pas à la vie de ce monde.

La tradition de l’arche (Safînat), est une des plus célèbres traditions et aussi celle dont la chaîne des transmetteurs est des plus valides. Elle est rapportée par les grands auteurs sunnites, et confirme la qualification et la compétence des Gens de la Maison du Prophète pour la direction des musulmans.

On rapporte que Abou Dharr al-Ghiffâri a entendu le Prophète dire:

“Les Gens de Ma Maison sont, parmi vous, à l’exemple de l’arche de Noé: quiconque y embarque sera sauvé, et quiconque la manque sera noyé et chutera.”

En comparant les Imams au Vaisseau de Noé, le Prophète ne confirme pas seulement leur rôle de guides pour les croyants; il fournit aussi une indication pour les musulmans qui voudraient assurer leur salut, en les invitant à obéir aux imams, à se conformer à leur exemple, et il met en garde ceux qui s’opposeraient à ces imams,et qui ce faisant ruineraient toutes leurs chances d’être sauvés dans l’au-delà, s’imaginant pouvoir trouver quelque planche de salut, hors de l’arche.

Cette tradition confirme aussi la perfection et l’impeccablilité des imams de la Maison du Prophète, puisque sans ces qualités, comment pourraient-ils mener à bien leur mission divine de sauver les âmes de l’égarement et des ténèbres…

* LARI, Moussaoui, La Question de l’Imamat, Chapitre 3, Édité près : Foundation of Islamic C.P.W. 21, Entezam St, Qum, Iran, Reproduit avec la permission par l’équipe de projet de L’Ahlul Bayt Digital Islamic Library.