La désignation de Ali comme chef des musulmans

L’intérêt de l’Islam commandait qu’après la mort du Prophète, les rênes des affaires de la communauté soient confiés à un chef doté d’une grande sagesse et capable de poursuivre l’œuvre entreprise par le Prophète, faute de quoi les esprits fraîchement libérés de l’Ignorance, seraient tentés d’introduire des éléments de déviation, compromettant le sens même de la religion islamique.

Beaucoup de preuves historiques nous attestent que le Prophète avait non seulement conscience de l’importance de la question, mais qu’il l’avait résolue publiquement à son retour du pèlerinage d’Adieu, le 18 du mois de Dhul Hidja, en désignant -sur ordre de Dieu- son légataire universel et son successeur, et en indiquant par cela-même les moyens et voies pour assurer la poursuite de son mouvement, et le bonheur de la justice et la prospérité de la communauté musulmane.

Lors de la dixième année de l’Hégire, qui vit le terme de sa mission terrestre, le Prophète avait décidé de diriger ce grand rassemblement des pèlerins à la Mecque. L’honneur d’accomplir ce pèlerinage en compagnie de leur Prophète et guide, fut à l’origine de la participation de dizaines de milliers de la première génération de musulmans. Tout le monde était là, venus de tous les coins de l’espace islamique d’alors; il en fut même qui se rendirent d’abord à Médine pour avoir l’insigne privilège de se joindre à la caravane du Prophète en partance vers la Mecque, pour y accomplir ce grand devoir religieux du Hadj qui incombe à tout musulman ou musulmane qui en a les moyens et la force physique.

Le Prophète fut très heureux du flot humain qui se pressait autour de lui: c’était la preuve que sa mission avait été bien accomplie. Quand les cérémonies du pèlerinage se furent achevées, la grande caravane des pèlerins que les historiens évaluent entre 90 et 120000 personnes s’ébranla vers le chemin du retour. Elle traversa quelques vallées avant de déboucher sur un désert aride où se trouvait, miséricorde divine dans ce lieu de désolation, un étang que les caravanes appelaient “Ghadir Khomm”.

Soudain, l’ordre fut transmis au Prophète par l’ange Gabriel de la part de Dieu, d’arrêter la caravane. On s’arrêta et l’on attendit que les retardataires arrivent. Un tel ordre ne pouvait que surprendre les pèlerins: la chaleur torride, le soleil implacable rendaient l’endroit inclément.

Peu de temps après, se répandit la nouvelle qu’une révélation venait de descendre sur le Prophète. Elle disait:

﴾Ô Prophète, transmets ce qui t’est révélé de la part de ton Seigneur; ne le ferais-tu pas, tu n’aurais pas communiqué Son message. Dieu te met hors d’atteinte des gens. Dieu ne guide pas les mécréants﴿ Sourate La Table Servie (al-Mâ’ida)[5:67]

Ce verset est explicite quant à la gravité de l’ordre divin spécifique qui est donné cette fois au Prophète: si ce dernier venait à manquer à son devoir (non par désobéissance à Dieu) par peur des gens, sa faute serait telle que toute son action jusque-là aurait été nulle et vaine; en revanche s’il se conformait à l’ordre divin, il parachèverait sa mission, et la garantirait contre tout péril jusqu’à la fin des temps.

Le Prophète allait s’éteindre soixante-dix jours après cette révélation. Et pendant les 23 ans qui ont précédé, il s’était, sans relâche, voué à sa mission, entièrement soumis aux ordres divins.

Ce verset se réfère par conséquent à un ordre spécial, par la transmission duquel seraient obtenus l’agrément divin, la perfection du message, et l’accomplissement de la grâce divine.

L’affaire était grave. Le Prophète n’avait pas peur des hommes pour sa personne. Il avait peur des hommes pour sa religion. Or, Dieu le rassure pour cela en disant:

“Dieu te met à l’abri du mal des gens”.

La mentalité arabe de l’époque était réfractaire à l’attribution de responsabilités politiques à des jeunes; à leurs yeux la sagesse était synonyme d’âge mûr, voire de vieillesse. Ce qui ne facilitait pas la tâche!

En outre, beaucoup de ceux qui se trouvaient être alors des compagnons du Prophète avaient des proches et des amis qui furent tués au combat par l’épée imparable de ce grand héros que fut l’Imam Ali ibn Abi Taleb (Que la Paix soit sur lui). Leur foi islamique n’était pas suffisamment profonde pour discerner entre la fidélité à Dieu et la fidélité a des amis et proches, ennemis de la foi. Ils gardaient rancune à Ali, au lieu de voir en lui le combattant fidèle du Prophète qui n’obéit qu’à sa conscience.

Les traditionnistes chiites et certains traditionnistes sunnites ont rapporté que le verset coranique précédent fut révélé à “Ghadir Khomm”. Le Prophète recevait l’ordre divin de proclamer Ali (Que la Paix soit sur lui) comme son successeur.

A Ghadir Khomm, vint donc le moment de la prière du midi. Le Prophète la dirigea. Puis il se leva pour se préparer à prononcer l’un des prônes les plus importants de sa mission, et se conformer ainsi au commandement de son Seigneur. On dressa une chaire en empilant les bâts des chameaux, et les bagages des pèlerins.

Puis au milieu de cette foule rassemblée dans le désert et prête à l’écouter, le Prophète s’avança et monta sur la chaire afin que chacun le voie et l’entende.

Après avoir rendu grâce à Dieu, dont la puissance sur les choses est éternelle, le Prophète dit:

“Ô gens! Bientôt arrivera le moment où je serai appelé et je répondrai. Je serai certainement interrogé, et vous serez certainement interrogés. Que diriez-vous alors?”

Les musulmans répondirent: “Nous attesterons que tu as transmis ton message que tu as combattu et que tu nous as conseillés et que Dieu t’en récompensera en profusion de bien.”

Puis le Prophète dit: “N’attestez-vous pas qu’il n’est pas d’autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son Envoyé; et que le Paradis est vrai, que l’Enfer est vrai, que la mort est vraie, que la résurrection après la mort est vraie, et que l’Heure du Jugement viendra sans aucun doute à son sujet et que Dieu fera revivre les gens des tombeaux?” Ils répondirent, unanimes: “Certes oui, nous attestons cela!”

Puis le Prophète poursuivit: “Et je vous interrogerai au moment où vous serez amenés devant moi, au sujet des deux choses les plus lourdes, sur la façon dont vous vous comporterez à leur égard, après ma mort.

La plus grande des deux choses lourdes est le Livre de Dieu qu’Il soit Exalté. Il est une corde dont une extrémité est dans la main de Dieu et l’autre dans vos mains. Saisissez-la bien, vous ne vous égarerez pas et vous ne changerez pas. L’autre chose lourde est ma famille, les Gens de ma Maison. Car le Subtil, qui est au fait de toute chose, m’a informé que ces deux choses lourdes ne se sépareront jamais jusqu’à ce qu’elles me rejoignent au Paradis.”

Puis le Prophète appela Ali (Que la paix soit sur lui) le prit par la main et le hissa sur la chaire. Puis élevant la main de Ali afin que tout le monde le reconnaisse, le Prophète dit:

“Ô gens! Qui est-ce qui a priorité sur vous avant même vos propres personnes?” Ils dirent: “Dieu et Son Envoyé sont plus savants”. Le Prophète poursuivit: “Celui dont je suis le maître, voici Ali qui sera son maître.

Ô Dieu, sois l’ami de celui qui lui vouera son amitié, et sois l’ennemi de celui qui lui déclarera son inimitié. Donne la victoire à celui qui le défendra, et avilit celui qui cherchera à l’avilir et fais que la Vérité le suive partout où il sera.”

Puis, pour finir son discours, le Prophète demanda que les présents en transmettent la teneur aux absents.

C’est donc ainsi que fut désigné à la charge de l’imamat, Ali ibn Abi Taleb, l’homme qui en était le plus digne et le plus qualifié. Et c’est ainsi que la mission prophétique se parachevait et atteignait sa perfection dans la proclamation et l’investiture de Ali comme son successeur.

Avant même que la foule des musulmans ne se dispersa, l’ange Gabriel apporta au Prophète le verset suivant:

﴾En ce jour, J’ai parachevé pour vous votre religion, et J’ai complété pour vous Ma faveur, et Je vous ai agréé l’Islam comme religion﴿ Sourate la Table Servie (al-Mâ’ida) [5:3]

Lorsque le Prophète cessa de parler, tous les musulmans crièrent d’une seule voix: “Dieu est plus Grand! Allâh-ou-Akbar!”, pour remercier Dieu d’avoir aidé le Prophète à mener sa mission jusqu’à son terme, et d’avoir ainsi donné aux hommes une religion complète, en désignant même le successeur du Prophète.

Les musulmans laissaient éclater leurs joies. On s’avançait par groupes vers Ali pour le féliciter, et on s’adressait à lui en employant le titre qui lui convenait le mieux, celui de Commandeur des Croyants, Emir el-Mou’minin, titre que le Prophète lui avait donné.

On dit que c’est là même que Hassân ibn Thâbet, célèbre poète du temps du Prophète déclama son poème panégyrique dans lequel il évoqua le grand évènement de Ghadir Khomm:

Leur Prophète les appela au jour de Ghadir A khomm,

et quel plus noble appelant que le Prophète!

Il dit: “Qui est votre Patron et qui est votre Ami?”

Et eux, ne se montrèrent point dépourvus d’yeux:

“Ton Dieu est notre Maître et Tu es notre Ami,

Et aucun de nous ne te désobéira sur Terre.”

Alors, il dit: “Lève-Toi, Ali! Car certes je t’ai agréé

après moi comme Imam et Maître de la Voie.”

Dans le verset coranique précédemment cité, on peut mesurer l’importance que Dieu veut donner à cet événement: ce n’est certainement pas un fait ordinaire. On y parle de perfection, d’achèvement de la religion, d’agrément de Dieu pour l’Islam comme religion pour les hommes. Mais ces informations ne sont données qu’après la proclamation d’Ali comme héritier désigné du Prophète.

Autrement dit, c’est Ali qui est la cause de la perfection de l’Islam, et l’obéissance à Ali fait partie des fondements de cette religion.

Les sources historiques et traditionnelles des sunnites aussi bien que celles des chiites confirment que le verset en question a été révélé au Ghadir Khomm, c’est à-dire le jour où le Prophète désigna Ali comme son successeur à la tête des musulmans. Et tous les commentateurs s’accordent à dire que la Sourate de la Table Servie (al-Maîda, cinquième sourate du Coran) dont fait partie le verset en question, est la dernière sourate du Livre Saint à être révélée au Prophète de Dieu.

Certains -mal intentionnés- ont essayé de voir dans le verset une allusion au début de l’Islam. Il y a de leur part une volonté délibérée d’égarement et de tromperie. Car le texte dit clairement ﴾En ce jour, j’ai parachevé pour vous votre religion, et J’ai complété pour vous Ma faveur…﴿ De toute façon, ces tentatives tardives de falsification n’ont aucun appui dans les sources anciennes.