PORTRAIT – Chérif Aïdara, un des grands cheicks chiites au senegal:

Né à Daroul Hijratou, Chérif Mouhamad Aly Aïdara, 60 ans, guide du Mozdahir international, une communauté de milliers de fidèles chiites, est un homme de son temps, attaché aussi à la promotion de «l’islam originel».

Le chiisme au Sénégal porte un nom : Chérif Mouhamad Aly Aïdara. A 60 ans, il est le guide de la communauté chiite, un personnage emblématique, peu démonstratif, presque timide. Qui est Chérif Aïdara ? C’est une ombre portée par un poids de l’histoire, investie d’une mission sacrée, héros de la cause des chiites qui ne cessent de grossir au fil des années dans ce pays. Déjà un plaidoyer : «Je demande aux autorités de notre cher Sénégal, pays réputé miroir de la démocratie dont le respect du droit des minorités est l’un des principes fondamentaux, de mieux prendre en considération notre statut de communauté religieuse à l’instar de toutes les autres.»
A 60 ans, les traits de la jeunesse ont disparu, l’ombre d’une légèreté ou d’une faiblesse s’est évanouie. Chérif est un ascète, un homme «achevé» dans ses croyances, assis sur des convictions en acier trempé. A Daroul Hijratou, village fondé par son père Chérif Al-Hassane Aïdara, à quelques kilomètres de Vélingara, nous sommes au bout du monde des Aïdara, famille de dévots, guidé par le sacrifice suprême de Ali, gendre du Prophète (Psl). Le président du Mozdahir international, dont les ancêtres remontent au Chérif Moulay Idriss, fondateur de la dynastie des Idrissides, lignée qui remonte jusqu’à Hassane, fils de Ali et de Fatima, fille du Prophète Mouhamad (Psl), serait-il un génie dans son genre ? Il a mémorisé le Coran avant l’âge de 10 ans, maîtrisé les fondements de la théologie islamique, les principes de la jurisprudence ainsi que les bases principielles du soufisme et de la Tidianiya. «Mon père était l’un des plus grands maîtres soufis de Afrique occidentale», dit-il avec le sourire. Sous le regard «affectueux» et «exigeant» du papa, il touche à tout chez lui : Alfiyatou Ibn Malick, les Ajroumiyats… Ce n’est pas tout ? «Et d’autres parmi les plus célèbres livres de grammaire et de la langue arabe enseignés dans les universités traditionnelles africaines.» Quid de la jurisprudence islamique, de la langue, de la poésie et de la littérature arabe ? Tout a été absorbé à l’âge adolescent. Mais il y a l’écrasant poids de l’atavisme dont il a su se délester pour écrire d’autres pages de sa vie de chercheur.
A l’aube de ses 20 ans, Chérif Aïdara atterrit en France. Grandi à la campagne, le «petit-fils» du prophète (Psl) entame son ouverture au monde en restant rétif aux paillettes hexagonales. Comment tenir quand, sans préavis, tous les repères professionnels, relationnels, familiaux disparaissent ? Malgré un dépaysement rêche, il met le curseur sur ses ambitions nées de ses origines prophétiques. A l’Alliance française, puis au collège, il étudie le français. Il s’offre de nouvelles perspectivistes en découvrant le chiisme «suite à des recherches autodidactiques». Il s’envole à Qom. Située à 150 km au sud-ouest de Téhéran, c’est une ville sainte en son genre. Sur place, il approfondit ses connaissances en sciences islamiques. Ensuite, il file à Londres pour décrocher une Maîtrise en finance islamique. Toujours accroché aux études, le guide religieux prépare deux Doctorats à Londres et à Qom dans deux spécialités différentes. Sacré marathonien !

Double doctorant
Il poursuit de tracer sa trajectoire rectiligne, sa philosophie de vie n’a pas bougé d’un iota. Même port d’attache Daroul Hijratou où quelques milliers d’âmes ont tissé des liens d’une rare solidité. Même amour : Mohamed (Psl). Il a écrit la biographie du Prophète Mouhamad et des imams infaillibles (paix et salut sur eux), publié Les vérités sur la succession du Prophète en éclairant la crise qui a suivi sa disparition. Il s’appuie «sur la bonne interprétation des versets et en faisant comprendre les événements historiques». Il a été traduit en arabe, en anglais, en pulaar et en portugais.
Eloge du marabout moderne, Chérif Aïdara ne renonce jamais à l’abnégation. Il espère un jour que la fête de la Tamkharit échoira dans l’oubli. En tant que chiite, il ne s’en accommodera jamais. Il dit : «Je ne souhaite pas, pour ma part, faire partie de ceux qui, en connaissance de cause, fêtent la Tamkharit par des festins en se gavant de couscous ou en organisant des carnavals comme si c’était pour se moquer de la famille du Prophète endeuillée, ni de ceux qui restent indifférents devant cette calamité que tous les élus de Dieu pleurent et en répondre demain devant Fatima Zahra Bintou Rassoul (Paix et salut sur eux).» Un évènement qui l’étreint, donne à sa voix un écho de tristesse indicible : «Achoura est le jour du massacre inimaginable, inouï et inhumain, le massacre de petit-fils bien aimé du Prophète Abou Abdallah Al Houssein (Psl), la captivité de toutes les femmes et les filles de cette sainte famille dans les pires conditions qui ont été traitées comme des esclaves. Si Ali Zeynoul Abidine (Psl), son fils et les des enfants de son frère, l’imam Hassan (Psl), n’avaient pas échappé à cette boucherie, peut-être la famille du Prophète (Paix et salut sur elle) serait exterminée. Ce génocide a été perpétré sous les ordres du calife omeyyade Yazid, fils de Mouawiya, qui fit, à cette occasion, la déclaration suivante : ‘’Ah si les chefs de ma famille qui sont morts à Badr avaient pu voir comment j’ai massacré les enfants et les compagnons de Mouhamad, ils m’auraient rémunéré et m’auraient dit : – Yazid, pourvu qu’il n’arrive jamais rien à ta main, car elle a tué Houssein (Psl). Je n’aurais jamais été digne si je ne les avais vengés. Il n’y a plus rien qui rappelle la prophétie. Rien n’est venu du ciel, ni d’Allah :’’» A force de discours théologiques, les choses bougent dans le bon «sens» : «Nous constations qu’il y a de moins en moins de festivités lors de la Tamkharite. Nous allons continuer la sensibilisation pour que ça change.» Se démarquant des pratiques religieuses désuètes, il croit à la liberté, à la force des choix et en l’énergie de la jeune génération. Président fondateur de l’Institut Mozdahir international, Pdg des radios Mozdahir Fm et Zahra Fm qui émettent respectivement à Dakar et à Kolda, il est le Pca des écoles et hawzat (universités traditionnelles) de l’Imi. L’Ong intervient dans l’éducation, la formation et le développement durable. «Il faut former les jeunes parce que l’éducation est la base de tout développement», explique-t-il. Ses idées dépassent les frontières. «L’Imi a un statut diplomatique au Sénégal, en Guinée Bissau, en Côte d’Ivoire etc., car ayant signé un accord de siège avec ces différents Etats. Nous avons construit des dizaines d’écoles, de mosquées et mis en place des projets de développement au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. Nous envoyons chaque année des dizaines d’étudiants dans les universités de Najaf en Irak ou de Qom en Iran», révèle Chérif Aïdara qui a financé la construction de nombreuses mosquées.

Tamkharite
A la tête des milliers de disciples, éparpillés entre le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire, Togo, le Tchad, le Bénin, en Europe, en Amérique et dans les pays du Golfe, Chérif, «imbu de la science islamique et de la connaissance ésotérique héritée de ses ancêtres», n’est pas un personnage clivant. C’est un rassembleur : «Mozdahir a eu à organiser des rencontres en vue de rapprocher les points de vue entres les musulmans chiites et sunnites et pour le raffermissement des liens de fraternité et de la mutualisation des efforts pour le progrès de l’islam et des musulmans. Sa mission première et la finalité de toutes ses actions demeurent la promotion de l’islam originel, hérité par la sainte famille du Prophète Mouhammad (Pslf), un islam de paix, d’amour, de tolérance, de partage et de progrès.»
Né d’une mère peule, originaire de Médina Gounass, il maîtrise l’arabe, l’anglais, le français, le pulaar et le wolof.