LA PROPHÉTIE DU POINT DE VUE CHIITE (1)

1- Vers le but : La direction générale (Le gouvernement divin)

Un grain de blé mis en terre dans des conditions appropriées, commence à pousser et à se développer en prenant à chaque instant des formes et des états nouveaux. II suit cette voie selon un processus particulier, jusqu’à devenir une plante mûre portant des épis. Si de nouveau l’un des grains tombe à terre, il recommence le cycle précédent jusqu’au terme. De même si la graine est celle d’un fruit jeté en terre, elle commencera aussitôt sa transformation, brisant son écorce, de laquelle jaillira une tige verte. Elle poursuit une course précise jusqu’à devenir un arbre, vert recouvert de fruits. S’il s’agit du sperme d’un animal, il commence à se développer dans l’œuf ou dans la matrice de la mère, selon la ligne de développement particulière à cet animal, jusqu’à devenir un individu parfait de cette espèce animale.

 

Ce développement particulier et ordonné peut-être observé dans chaque espèce de créature de ce monde et il est déterminé par la nature interne de cette espèce. L’épi de blé qui a poussé à partir du grain ne donnera jamais de l’avoine ni ne deviendra un mouton, une chèvre ou un éléphant, et un animal fécondé par un mâle ne donnera jamais des épis de blé ou un arbre. Même si une imperfection survenait dans les organes ou les fonctions naturelles d’un nouveau-né, ou si un agneau venait à naitre sans yeux, ou encore si une pousse de blé se développait sans épi, nous ne douterions pas que cet accident est dû à quelque maladie ou incident ou à des causes non naturelles. L’ordre et la régularité continus dans le développement et la génération des êtres, et l’appartenance de chaque espèce à un ordre et à une loi particulière pour sa génération constitue un fait indéniable.

 

De cette thèse évidente, deux conclusions peuvent être tirées:

 

1- Dans les différentes étapes que chaque espèce de créature traverse depuis le début jusqu’à la fin de son existence, il y a continuité et enchainement; comme si cette espèce était à chaque étape de son développement poussée et attirée par l’étape suivante.

 

2- Du fait de la continuité et de l’enchainement signalés plus haut, la dernière étape du développement de chaque espèce est dès le début de sa génération le but et le terme de la ” tension existentielle ” de cette espèce.

 

Par exemple, la noix qui fait surgir une pousse verte de dessous la terre, est dès ce moment-là tendue vers un noyer adulte. De même un spermatozoïde dans un œuf ou une matrice est dès le moment de sa génération en marche vers l’état de l’animal accompli.

 

Le Coran, qui enseigne que la création et la préservation des choses appartiennent absolument à Dieu, considère que ce mouvement et cette attraction, dont le développement de chaque espèce créé est porteur, émane du gouvernement divin. Comme Dieu le dit : ” Notre Seigneur est celui qui a donné forme à chaque chose et l’a ensuite dirigée ” (Coran XX, 50). Ou encore : ” Qui a créé et agencé; qui a mesuré puis guidé ? ” (Coran LXXXVII, 2 – 3). Et Dieu se réfère au résultat de ces paroles en ces mots : ” À chacun une direction vers laquelle il se tourne “, (Coran II, 148). Ou encore : ” Ce n’est pas pour nous divertir que nous avons créé les cieux, la terre et ce qui est entre les deux. C’est en toute Vérité que nous les avons créés, mais la plupart des hommes ne savent pas ” (Coran XLFV, 38 -39).

 

2- La direction particulière

 

Évidemment, l’espèce humaine ne fait pas exception à cette règle générale. La même loi qui s’applique à toutes les espèces de créatures régit également l’homme. De même que chaque espèce, par sa nature particulière tend vers sa perfection et est dirigée vers elle, de même l’homme doit être guidé à l’aide de cette direction vers ce qui constitue sa perfection réelle.

 

Bien que l’homme partage plusieurs éléments avec d’autres espèces d’animaux et de plantes, la caractéristique spéciale qui le distingue est l’intellect[1] . C’est à l’aide de l’intellect et de sa raison que l’homme est en mesure de penser et d’utiliser tous les moyens possibles pour son propre bénéfice, de voler dans les espaces illimités du ciel, de se mouvoir dans les profondeurs de la mer, ou de mettre à son service toutes sortes de choses créées, qu’elles soient minérales, végétales ou animales, et même de tirer bénéfice autant que possible des membres de sa propre espèce.

 

De par sa nature primordiale, l’homme voit son bonheur et sa perfection dans l’acquisition de la liberté complète. Pourtant, il doit nécessairement sacrifier une partie de sa liberté car il est créé en tant qu’être social et rencontre de nombreuses sollicitations auxquelles il ne peut jamais satisfaire par lui-même, et aussi parce qu’il se trouve en relation avec d’autres membres de son espèce qui possèdent eux-mêmes le même instinct d’égocentrisme et d’amour de la liberté. Puisqu’il tire bénéfice des autres, il doit à son tour leur être utile. II doit donner par son propre travail l’équivalent de ce qu’il récolte du labeur des autres. Ou, en bref, il doit nécessairement accepter une société basée sur la coopération mutuelle. Ceci est clair dans les cas des nouveau-nés et des enfants. Au début, lorsqu’ils désirent quelque chose, ils n’ont recours qu’à la force et aux pleurs, refusant toute contrainte et toute discipline. Mais progressivement, à la suite de leur développement mental, ils réalisent que l’on ne peut résoudre les problèmes de la vie seulement par la rébellion et la force; par conséquent, ils approchent lentement de la condition d’être social. Finalement ils atteignent l’âge où ils deviennent des individus sociaux pourvus de pouvoirs mentaux développés et sont prêts à obéir aux règles sociales de leur environnement.

 

Quand l’homme en vient à accepter la nécessité de la coopération mutuelle parmi les membres de la société, il reconnait de même la nécessité des lois pour gouverner la société, clarifiant la tâche de chaque individu et spécifiant le châtiment de chaque transgresseur. II accepte les lois par lesquelles chaque individu dans la société peut réaliser son véritable bonheur, à la mesure de la valeur sociale de ses efforts. Ces lois sont les mêmes lois universelles que l’homme, depuis son apparition jusqu’à ce jour, a constamment cherchées et vers lesquelles il a toujours été attiré comme vers le premier de tous ses désirs. Si ce but n’était pas possible à atteindre et n’était pas écrit sur la tablette de la destinée humaine, cela n’aurait pu être le désir permanent de l’homme[2] .

 

Dieu, exalté soit-Il, a fait référence à cette réalité de la société humaine, en disant : ” C’est nous qui avons réparti entre eux leur subsistance, dans la vie présente, et les avons élevés en degré les uns au-dessus des autres, afin que les uns prennent les autres à leur service ” (Coran XLIII, 32)[3] . Au sujet de l’égoïsme de l’homme et de son désir de monopoliser les choses pour lui-même, II dit : ” L’homme a été créé versatile; pusillanime quand le malheur le touche, et violent quand il est dans la prospérité ” (Coran LXX, 19 -20) (9).

 

3- La raison (l’intellect) et la loi

 

Si nous observons les choses avec attention, nous découvrirons que l’homme recherche constamment ces lois qui peuvent lui assurer le bonheur dans le monde, et que les gens, tant individuellement que collectivement, et conformément à leur nature reçue de Dieu, reconnaissent la nécessité de lois qui leur procurent la félicité, sans discrimination ni exception, lois qui établissent une norme générale de perfection dans l’humanité. Manifestement, durant les différentes périodes de l’histoire humaine jusqu’à ce jour on n’a pas vu apparaitre de telles lois promulguées par la raison humaine. Si les lois de l’existence avaient placé le fardeau de la création de telles lois humaines sur les épaules de la raison humaine, il est certain qu’au cours de la longue période de l’histoire de telles lois auraient vu le jour. Dans ce cas chaque individu doué de raison comprendrait dans le détail cette loi humaine, de la même qu’il réalise la nécessité de telles lois dans la société.

 

En d’autres termes, s’il avait été dans la nature même des choses que la raison humaine dût créer une loi commune parfaite procurant le bonheur de la société humaine, et que l’homme fût guidé vers cette loi parfaite au moyen du processus de création et, de génération du monde lui-même, alors de telles lois auraient été appréhendées par chaque être humain au moyen de sa raison, de la même manière qu’il sait ce qui, dans la vie quotidienne, est à son avantage ou à son détriment. II n’existe cependant aucun signe de la présence de telles lois. Les lois qui sont apparues d’elles-mêmes ou ont été promulguées par une unique autorité, par des individualités ou des nations, et qui ont prévalu en différentes sociétés, sont considérées par quelques-uns comme certaines, par d’autres comme douteuses. Certains sont conscients de ces lois, d’autres les ignorent. II n’est jamais arrivé que tous les hommes, identiques dans leur structure fondamentale, en ce qu’ils sont pourvus par Dieu de raison, aient eu une conscience commune des détails des lois qui peuvent procurer le bonheur dans le monde humain.

 

4- Cette conscience et cette mystérieuse sagesse nommées ” Révélation “

 

A la lumière de la discussion précédente, il apparait clairement que les lois pouvant garantir le bonheur de la société humaine ne peuvent être perçues par la raison. Puisque selon la thèse du gouvernement général (hidâyat-e oumurru) de la création, l’existence d’une conscience de ces lois dans l’espèce humaine s’avère nécessaire, il doit y avoir une autre faculté dans l’espèce humaine permettant à l’homme de comprendre les véritables devoirs de la vie et mettant cette connaissance à la portée de chacun. Cette connaissance et cette puissance de perception, différente de la raison et des sens, est appelée “conscience prophétique” ou “conscience de la révélation”.

 

Certes, la présence d’un tel pouvoir dans l’humanité ne signifie pas qu’il doive nécessairement apparaitre chez tous les individus, de la même manière que le pouvoir de procréer, bien que donné à tous les êtres humains, n’est possible que pour ceux qui ont atteint l’âge de la puberté.

 

La “conscience de la révélation” est une forme de conscience mystérieuse et inconnue pour ceux qui ne la possèdent pas, de la même manière que la sensation de la joie de l’union sexuelle est une sensation mystérieuse et inconnue pour ceux qui n’ont pas atteint l’âge de la puberté.

 

Dieu, exalte soit-Il, se réfère à la révélation de Sa Loi Divine (Shari’ah) et à l’inaptitude de la raison humaine à comprendre cette matière dans les versets suivants :

 

” Nous t’avons fait une révélation comme nous avons fait une révélation à Noé et aux Prophètes venus après lui… à des Prophètes annonciateurs et avertisseurs afin qu’après la venue des Prophètes, les hommes n’aient aucun argument à opposer à Dieu ” (Coran IV, 163-165).

 

5- Les Prophètes et l’infaillibilité de la prophétie

 

L’apparition des Prophètes confirme la conception de la révélation esquissée plus haut. Les Prophètes de Dieu furent des hommes qui propagèrent l’appel de la révélation et de la prophétie et fournissent des preuves définitives de leur appel. Ils répandirent parmi les hommes les éléments de la religion de Dieu (qui est la même loi divine garantissant le bonheur) et la rendirent accessible à tous les hommes.

 

Depuis toujours le nombre de personnes douées du pouvoir de prophétie et de révélation a été limité à quelques-uns, Dieu ayant mené à sa perfection la conduite du reste de l’humanité en plaçant la mission de la diffusion de la religion sur les épaules de ses Prophètes. C’est pourquoi un Prophète de Dieu doit posséder la qualité d’infaillibilité (ismah). En recevant la révélation de Dieu, en la gardant, puis en la rendant accessible aux hommes, il doit être préservé de l’erreur. II ne doit commettre aucun péché (masyah). La réception de la révélation, la préservation et sa propagation constituent trois principes du gouvernement ontologique; or l’erreur, au plan ontologique n’a aucun sens. De plus, le péché et l’opposition aux contenus de l’appel religieux et à sa propagation sont impossibles pour un Prophète, car ils seraient contraires à la mission religieuse originelle; ils détruiraient la confiance des gens, leur confiance dans la vérité et la validité de l’appel. II en résulterait la destruction du but même de l’appel religieux.

 

Dieu confirme l’infaillibilité des prophètes en disant : ” Nous les avons choisis et nous les avons guidés sur une voie droite ” (Coran VI, 87) et encore : ” (Dieu) connait parfaitement le mystère; mais IL ne dévoile à personne le secret de son mystère, sauf à celui qu’Il agrée comme Prophète, II le fait précéder et suivre d’une garde vigilante, pour savoir si les Prophètes transmettent les messages de leur Seigneur ” (Coran LXXII, 26 – 28).

[1] Note de l’éditeur : l’auteur utilise le mot persan “Khirad” qui signifie, comme ‘aql, et l’intellect et la ‎raison selon son emploi. Mais il ne signifie certainement pas seulement la raison ou l’acception ‎moderne de l’intellect en tant que synonyme de raison. La signification traditionnelle de l’intellect en ‎tant que faculté d’immédiate perception transcendant la raison, et malgré tout non irrationnel, est ‎inhérente en elle.‎

[2] Même les plus naïfs et les plus irréfléchis des hommes veulent par leur nature d’êtres humains que la ‎société humaine soit telle que tous vivent dans le confort, la paix et la sérénité. Du point de vue ‎philosophique, le besoin, l’amour, l’attirance, l’appétit et choses semblables sont des qualités relatives ‎joignant deux côtés comme celui qui désire et ce qui est désiré, ou bien l’amoureux et l’aimée; II est ‎claire que s’il n’y avait personne à aimer, l’amour n’aurait aucun sens. En fin de compte, tout revient à la ‎compréhension de la signification de l’imperfection. S’il n’y avait pas de perfection, l’imperfection ‎n’aurait aucun sens. ‎

[3] Cela signifie que tout individu est responsable pour une part de vie et qu’il reçoit une partie désignée ‎de vie. Les hommes sont de rangs différents en ce sens que le directeur dirige les ouvriers; le ‎directeur, ses subordonnés; le propriétaire, le locataire ou l’acheteur et le vendeur. ‎