Etude du ‘HIijaab’ en Islam:

Nous voulons à présent examiner du point de vue du “Fiqh” la limite du “couvrement” qui incombe à la femme en Islam, compte tenu de tous les arguments pour et contre contenus dans la question.

Nous précisons une fois encore que notre discours est un discours scientifique et non juridique. Nous exposerons ce qui constitue notre opinion personnelle, or chacun de vous doit se conformer dans la pratique au “fatwa” de son “mujtahed”.

Il est nécessaire en premier lieu de spécifier les questions qui sont formelles et indubitables du point de vue du “Fiqh” islamique, avant de se pencher sur les questions qui sont discutables et font l’objet de différends.

1- Il n’existe aucun doute du point de vue du Fiqh islamique en ce qu’il incombe à la femme de couvrir tout ce qui n’est pas le visage et les mains. Cette question relève de la nécessité et de l’évidence, et il n’existe à ce propos de différend ou de doute ni du point de vue du Coran et du Hadith, ni du point de vue “sentenciel”. Ce qui est sujet à discussion est le “couvrement” du visage et des mains.

2- Il faut dissocier la question de devoir du “couvrement” qui est celui de la femme, de celle d’interdiction du regard sur la femme, qui concerne l’homme. Il se peut que l’on reconnaisse la non-obligation pour la femme de couvrir son visage et ses mains, tout en optant pour l’interdiction de regard de la part de l’homme. Il ne faut pas croire qu’il y a interdépendance entre ces deux questions.

De la même façon que si, du point de vue du fiqh, il est incontestable qu’il n’incombe pas à l’homme de se couvrir la tête, ce n’est pourtant pas une raison pour qu’il soit permis à la femme de regarder la tête et le corps masculins.

Cependant, si nous reconnaissons telle licence en matière de regard, il nous faudra également reconnaître l’absence d’obligation [correspondante] en matière de “couvrement”; car il est fort improbable que le regard masculin sur le visage et les mains de la femme soit permis si leur “dévoilement” est interdit à la femme.

Nous expliquerons par la suite que si parmi les anciens délivreurs de “fatwas”, on n’en peut trouver aucun qui reconnaisse l’obligation [pour la femme] de se couvrir le visage et les mains, il en est par contre qui considèrent le regard [de l’homme sur eux] comme interdit.

3- En matière de licence du regard, il ne fait pas de doute que le regard motivé par la volupté ou le regard hasardeux(1) est interdit. Regarder par volupté signifie regarder dans l’intention d’en tirer jouissance. Quant au regard hasardeux, il ne désigne pas un regard par volupté ou par curiosité impudique; néanmoins, la caractéristique de l’observateur et de son intention est globalement telle qu’elle est dangereuse et laisse craindre que le regard n’engendre un faux-pas.

Ces deux types de regard sont absolument interdits, même en ce qui concerne les “mahârem”*. Les seuls cas qui font exception est le regard qui prélude à la demande en mariage, qui est alors permis même s’il y a volupté -comme c’est en général effectivement le cas. Cela, bien entendu, à condition que le dessein de l’homme soit véritablement le mariage, à savoir qu’il veuille réellement voir la femme en vue du mariage, et qu’il l’ait déjà agréée du point de vue des autres caractéristiques prises en compte.

Et non qu’il prenne l’intention du mariage comme prétexte à des regards impudiques. La Loi Divine n’est pas semblable aux lois humaines pour que l’on puisse se donner bonne conscience par un subterfuge; là, c’est la conscience humaine qui gouverne et Dieu Très-Haut, Auquel rien n’est caché, Qui tient les comptes. II faut ainsi dire qu’en vérité, il ne s’agit pas d’une exception: C’est le regard à dessein de volupté qui est formellement interdit, et ce qui, là, ne pose pas d’inconvénient est que celle-ci apparaisse fortuitement.

Les jurisconsultes ont stipulé qu’il n’est pas permis de regarder des femmes afin d’en choisir une parmi elles. Ce n’est permis à l’homme qu’en ce qui concerne une femme déterminée qui lui a été présentée et à propos de laquelle il s’interroge, dépourvu d’indécision de tous les points de vue, si ce n’est du point de vue du visage et du corps, voulant s’assurer qu’il l’agrée ou pas. Certains autres des jurisconsultes ont énoncé ce sujet sous forme de précaution (“ehtiyat”*).

Le visage et les deux mains

Abordons à présent le problème du “couvrement” du visage et des mains. La question du “couvrement”, suivant qu’il soit obligatoire ou non de couvrir le visage et les mains, revêt deux philosophies totalement différentes.

Si nous considérons comme nécessaire le “couvrement” du visage et des mains, nous sommes en vérité partisans de la claustration de la femme et de l’interdiction pour elle d’accéder à tout type d’activité, sauf dans le cadre spécifique du foyer ou dans les milieux exclusivement féminins.

Mais si, tout en considérant comme nécessaire le “couvrement” du reste du corps féminin et en tenant pour interdit tout acte provoquant, ainsi que pour les hommes le regard par plaisir ou hasardeux, si donc nous ne considérons pas comme obligatoire le “couvrement” du visage et des mains – et cela à condition qu’ils soient dépourvus de tout artifice attirant l’attention, excitant ou provoquant—le problème revêt un autre aspect et nous sommes alors les partisans d’une autre philosophie, selon laquelle il n’est pas nécessaire que la femme soit refoulée et recluse à l’intérieur de la maison.

Côté, peut regarder le visage et les mains d’une femme dans la mesure où son regard est dénué de volupté et ne comporte pas de risque, nous en conclurons que cela ne pose pas d’inconvénient. Dans le cas contraire, ce n’est par contre pas permis.

En un mot, le visage et les mains constituent la frontière entre la claustration et la non-claustration de la femme, et les objections que font les adversaires du “couvrement” valent dans la mesure où nous considérons comme nécessaire le “couvrement” du visage et des mains. Dans le cas contraire, aucune objection ne peut être faite quant au “couvrement’* des autres parties du corps, tandis que le point de vue adverse est sujet à critique.

Si la femme n’y met pas de mauvaise volonté et se refuse à sortir dévêtue, le fait de revêtir un vêtement simple couvrant tout son corps et sa tête à l’exception du visage et des mains n’entravera aucune activité extérieure. C’est au contraire l’exhibition de son corps, la coquetterie, le port de vêtements étroits et de modes hétéroclites qui font d’elle un être futile et inactif tenu de consacrer tout son temps à protéger ses positions.

Nous expliquerons sous peu, tout comme nous l’avons déjà dit en citant d’anciens exégètes, que l’exception du visage et des mains vise à abolir l’incommodité et à rendre possible l’activité de la femme, et que c’est selon ce critère que l’Islam ne l’a pas rendu obligatoire.

Examinons à présent les arguments pour et contre de la question.

Arguments favorables

Plusieurs raisons permettent de dire que le “couvrement” du visage et des mains n’est pas obligatoire.

Premièrement, le verset du “couvrement”, qui est le verset 31 de la sourate La Lumière, et qui vise à énoncer ce devoir et à en déterminer les limites, n’a pas tenu pour nécessaire de couvrir le visage et les mains. Dans ce verset, on peut s’appuyer sur les deux propositions suivantes:

“(Dis aux croyantes) de ne montrer que l’extérieur de leurs atours” et” …de rabattre leur voile sur leur poitrine.”

Au sujet de la première proposition, nous avons vu que la plupart des exégètes et l’ensemble des Traditions ont considéré la teinture (pour les mains) et le khôl, les bagues, les bracelets, etc., comme constituant ce que désigne l’exception “illâ mâzahar” (“Si ce n’est l’extérieur…”)* Ces atours sont des parures qui prennent place sur le visage et les deux mains, la teinture, les bagues et les bracelets concernant les mains et le khôl les yeux.

Ceux qui tiennent pour obligatoire le “couvrement” du visage et des mains doivent considérer l’exception “illâ mâzahar” comme se réduisant aux vêtements de dessus. Or une telle teneur de l’exception est fort improbable et va à rencontre de l’éloquence coranique.

Le fait de cacher les vêtements du dessus, étant infaisable, n’a pas besoin d’être excepté. En outre, c’est lorsqu’une partie du corps est apparente que le vêtement peut être considéré comme une parure. On peut dire par exemple des femmes sans “couvrement” que leur vêtement est une de leurs parures, mais si la femme se couvre tout le corps d’un vêtement enveloppant, un tel vêtement ne sera pas considéré comme une parure.

Ainsi, on ne peut réfuter le fait que le verset excepte bien une partie des atours corporels, et la clarté des Traditions ne laisse subsister aucun doute.

Au sujet de la seconde phrase, il faut noter que le verset indique la nécessité de couvrir la gorge; or étant donné qu’il énonce des limites, il aurait également énoncé la nécessité de couvrir le visage si tel avait été le cas.

Le “khomar” est destiné à couvrir la tête: la mention du terme “khomar” dans le verset signifie que la femme doit porter un fichu, et il est évident que couvrir avec un fichu concerne la tête. Quant au fait de savoir s’il faut également couvrir avec ce fichu une partie du corps autre que la tête, cela dépend de la façon dont c’est exprimé. Or le verset parlant uniquement de rabattre les deux pans du fichu sur la poitrine, il apparaît que ce n’est obligatoire que dans une telle mesure.

Peut-être imaginera-t-on que “rabattre leur voile sur leur poitrine” signifie accrocher un foulard, comme un rideau, devant le visage, de façon à couvrir jusqu’à la gorge et la poitrine. Or le verset ne peut à aucun titre être interprété de la sorte: premièrement, c’est le terme “khomar” qui a été employé ici et non le terme “jilbâb”, “khomar” désignant un petit foulard et “jilbâb” un grand foulard. Or un petit foulard ne pourrait être ainsi tiré vers l’avant pour pendre comme un rideau de façon à couvrir le visage, le cou, la gorge et la poitrine, tout en couvrant également la tête, la nuque et les cheveux, qui étaient généralement portés longs à l’époque.

Deuxièmement, le verset enjoint les femmes d’agir de la sorte avec leurs foulards – les foulards dont elles disposent. Or, il va sans dire que si elles les suspendaient de la sorte devant leur visage, elles ne verraient absolument pas devant elles et seraient ainsi dans l’impossibilité de marcher, ces foulards n’ayant pas été auparavant conçus à trous ou en tulle, par exemple, pour servir à cet effet.

S’il avait été question de faire pendre nécessairement le foulard devant le visage, l’ordre aurait été donné de se procurer des foulards autres que les foulards disponibles, afin de pouvoir marcher tout en se couvrant le visage.

Troisièmement, l’association des termes “daraba” et “‘alâ” ne traduit pas le sens de faire pendre. Comme nous l’avons dit auparavant en nous référant aux spécialistes de la lexicologie et des lettres arabes, la combinaison des termes “daraba” et “‘alâ” rend uniquement le sens de placer telle chose sur telle autre comme un voile, ainsi que l’énonce par exemple le verset disant: “Nous avons placé un voile sur leurs oreilles”(2).

Le verset en question signifie donc “…placer un voile sur leurs poitrine avec leurs foulards”. Ainsi, lorsque, déterminant les limites du “hijab”, il dit “rabattre leurs voiles sur leurs poitrines” et non “sur leurs visages”, il apparaît qu’il n’est ni obligatoire ni nécessaire de voiler le visage.

Un autre point qu’il faut évoquer ici a trait à la manière dont les femmes musulmanes portaient le fichu avant la révélation de ce verset.

1-Il est historiquement incontestable qu’antérieurement à la révélation des versets du “couvrement”; conformément à l’usage courant chez les femmes arabes de l’époque, les musulmanes ne se couvraient pas le visage.

Comme nous l’avons dit auparavant, elles faisaient passer le foulard derrière leurs oreilles et en jetaient les pans derrière elles, découvrant ainsi leurs oreilles, leurs boucles d’oreille, leur cou et leur gorge. Lorsque dans un tel contexte, l’ordre [leur] est donné de rabattre leur foulard sur leur poitrine, un tel commandement a pour sens de rapporter vers l’avant les deux pans du foulard à droite et à gauche et de les rabattre sur la poitrine de façon à ce qu’ils se croisent.

L’application de ce commandement fait que les oreilles, les boucles d’oreille, le cou et la poitrine soient couverts tout en laissant le visage à découvert.

Il ne fait à notre avis aucun doute que le verset en question exprime bien ce sens. Considérant qu’il énonce les limites du “couvrement”, et que selon les jurisconsultes, la négligence n’est pas permise dans l’énonciation, nous en déduisons de façon catégorique que le “couvrement” du visage n’est pas obligatoire.

2- Nous constatons dans de nombreux cas, dans les questions et réponses échangées entre les gens du commun et les Imams au sujet du “couvrement” et de la licence ou de la non licence de regard, que seule est évoquée la question des cheveux, tandis que celle du visage ne l’est à aucun titre.

C’est-à-dire que la question du visage et des mains y a été présumée résolue et évidente. Nous en mentionnons ci-dessous quelques exemples:

A- Au sujet de l’interdiction de regard sur la belle-sœur (sœur de l’épouse): Ahmad Baznati, un des éminents compagnons de l’Imam Réza, raconte qu’il demanda à l’Imam s’il est permis à l’homme de regarder les cheveux de la sœur de son épouse. -“Non, répondit l’Imam, sauf s’il s’agit d’une femme âgée.” – “La belle-sœur est donc comme une étrangère?” – “Oui”, dit l’Imam. -“(Et si elle est âgée), combien est-il permis de regarder?”- “Ses cheveux et ses avant-bras”, répondit l’Imam(3).

Nous remarquerons qu’à la fois dans la première question de cette Tradition et dans la dernière réponse de l’Imam, sont mentionnés les cheveux et non le visage. Il apparaît que le fait que le visage soit excepté était évident pour les interlocuteurs.

On ne saurait aucunement présumer par exemple qu’il est permis de regarder les cheveux et les avant-bras des femmes âgées et non leur visage, bien que le visage n’ait pas été mentionné dans la réponse à la question de savoir dans quelle mesure il est permis de regarder.

B- Au sujet du jeune garçon: “Lorsqu’un jeune garçon atteint l’âge de sept ans, dit l’Imam Réza à Ahmad Baznati, il doit être incité à faire la prière, mais tant qu’il n’est pas pubère, la femme n’est pas tenue de couvrir ses cheveux devant lui.” (4)
(C’est-à-dire que l’incitation à la prière est destinée à susciter une habitude, indépendamment du fait qu’à l’âge de sept ans et jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la puberté, il n’a pas le statut d’un homme.)

Là encore, c’est de couvrir les cheveux dont il est question, et non le visage, Les Traditions de teneur analogue abondent dans les recueils de hadiths.

Peut-être rétorquera-t-on que les cheveux ont été mentionnés à titre d’exemple, pour cette raison que le corps ne l’a pas été tandis que nous savons qu’il est nécessaire de le couvrir.

Nous répondrons que si le “couvrement” du visage avait été obligatoire, il aurait convenu que ce soit lui qui soit mentionné à titre d’exemple, en tant que partie du corps ayant dans la pratique le plus de chance d’être découverte, l’obligation de couvrir les autres parties du corps étant automatiquement déduite lorsqu’est énoncé le “couvrement” du visage. (…)

C- Au sujet des femmes d'”Ahl-ul dhimat”(5): Sokouni a rapporté ces propos de l’Imam Sâdeq: “Il n’est pas interdit, a dit le Prophète, de regarder les cheveux et les bras des femmes d'”Ahl-ul dhimat”(6).
Abu’l Bakhtari rapporte ces propos de l’Imam Ali: “Il est permis de regarder les cheveux des femmes d'”Ahl-ul dhimat”.”(7)

Les jurisconsultes et les “mujtahedin”* sont d’accord au sujet de la licence de regard sur les femmes appartenant aux “Gens du Livre”(8).

Néanmoins, un certain nombre de jurisconsultes y ont ajouté la condition selon laquelle il faut se borner à la mesure dans laquelle les ”femmes d'”Ahl-ul dhimat” avaient l’habitude de se découvrir au temps du Prophète (et cela à condition que le regard ne soit ni jouisseur ni hasar­deux), tandis qu’il n’est pas permis de regarder ce qu’elles ont pris l’habitude de découvrir par la suite. Mais les autres jurisconsultes sont d’avis qu’il n’y a pas d’inconvénient à regarder toute partie de leur corps qu’elles ont l’habitude de découvrir en public, même si elles en découvrent davantage qu’au temps du Prophète.

D- Au sujet des femmes nomades: L’Imam Sâdeq dit: “Il n’y a pas d’inconvénient à regarder la tête des femmes nomades et bédouines (…), car c’est toujours en vain que l’on enjoint ces femmes.” (9) (…)

Cette Tradition et les Traditions analogues témoignent du fait que le visage et les mains n’ont fait l’objet d’interrogation en aucune circonstance, et ceci pour cette raison que la non nécessité de les couvrir était formelle et indubitable pour les narrateurs et ne faisait pas le moindre doute. Nous avons dit auparavant qu’il n’est aucunement présumable qu’ils aient tenu pour nécessaire de couvrir le visage tout en doutant du “couvrement” des cheveux.

3- Certaines Traditions énoncent directement le précepte relatif au visage et aux mains, que ce soit du point de vue du “couvrement” ou de celui du regard. Bien entendu, la non nécessité de couvrir le visage et les mains n’implique pas la licence de regard, tandis que la licence de regard implique la non nécessité de les couvrir.

Nous avons auparavant cité certaines de ces Traditions à propos du verset “(Dis aux croyantes)… de ne montrer que l’extérieur de leurs atours”, et nous en citons à présent quelques autres:

A- Mas’ada ibn Zorara rapporte que l’Imam Sâdeq, interrogé au sujet des charmes que la femme peut dévoiler, répondit: “Le visage et les mains(10)”.

B- Mofadal ibn Omar interrogea l’Imam Sâdeq au sujet [du cas] de la femme qui mourrait au cours d’un voyage sans être accompagnée par un homme “mahram” ou par une femme pour lui faire le “gosl”*. “Il faut, répondit-il, faire le “gosl” aux (parties de son corps qui sont les) emplacements du “tayamom*, mais il ne faut pas toucher son corps ni dévoiler les charmes que Dieu a rendu obligatoire de couvrir.” – “Comment doit-on procéder?”

L’Imam répondit: “Il faut d’abord laver la paume de ses mains, puis son visage et enfin le dos de ses mains.” (11)
Nous remarquerons que l’Imam précise ainsi que le visage et les mains ne comptent pas parmi les parties du corps qu’il a été rendu obligatoire de couvrir.

C- Ali ibn Ja’far, fils du sixième Imam, demanda à son frère L’Imam Mûssa ibn Ja’far: “Dans quelle mesure est-il permis à l’homme de regarder une femme qui ne lui est pas “mahram”? “L’Imam répondit: “Le visage, les mains et les poignets(12).”

D- Abi Ja’far rapporta un récit de Jaber dont voici succinctement la teneur: “Je me rendis devant la demeure de Fatima en compagnie de l’Envoyé de Dieu. Celui-ci salua en demandant la permission d’entrer, que Fatima lui accorda.

“Entrerai-je avec la personne qui m’accompagne?” demanda-t-il. – “Je suis tête nue, O Envoyé de Dieu!” – “O Fatima! lui répondit le Prophète. Couvre-toi la tête avec les pans de ton vêtement. “Puis il demanda une seconde fois la permission d’entrer, que Fatima lui accorda. Lorsque nous entrâmes Je remarquai que le visage de Fatima était fort jaune.

“Pourquoi es-tu ainsi?” lui demanda le Noble Prophète. – “C’est à cause de la faim”, répondit-elle (13. Le Prophète pria Dieu de rassasier sa fille. Après l’invocation du Prophète, le visage de Fatima se colora de rose, et il me semblait voir le sang circuler sous la peau de son visage. Dès lors, Fatima ne connut plus la faim”(14)

Ce hadith indique très clairement que le “couvrement” du visage féminin n’est pas obligatoire et qu’il est permis de le regarder.

4- Certaines Traditions ayant trait à l'”ihrâm”* interdisent à la femme de se couvrir le visage. Il serait vraiment inconcevable de prétendre que découvrir le visage relève de l’interdit en temps normal tout en étant obligatoire dans l’état d'”ihrâm”.

Et sachant que la personne “mohrem”* accomplit généralement les cérémonies du Pèlerinage au sein d’une foule dense d’hommes et de femmes, il est clair que si le “couvrement” du visage était nécessaire, il faudrait qu’il y soit posé comme condition. En outre, une Tradition rapporte que l’Imam Bâqer*, voyant une femme en état d'”ihrâm” se couvrir le visage de son éventail, l’en éloigna à l’aide de sa canne.

On peut déduire de certaines Traditions que le “découvrement” du visage de la femme en état d'”ihrâm” correspond au “découvrement” de la tête pour l’homme, afin que le “mohrem” supporte les effets du froid et de la chaleur.

(…) Or l’Islam, ayant voulu maintenir telle quelle la loi du “couvrement”, n’a donné à la femme que l’ordre de se découvrir la tête et s’est contenté du non “couvrement” du visage. Car au sein des jurisconsultes, nul n’a jamais dit que l’Islam a voulu faire une exception au “couvrement” dans le cas de l'”ihrâm”.

Arguments défavorables

En contrepartie, les arguments suivants ont été avancés en faveur du caractère obligatoire du “couvrement” du visage et des mains:

1- La ligne de conduite des musulmans

S’il est vrai que le sens apparent des versets et des Traditions est qu’il n’est pas nécessaire de couvrir le visage et les mains, on ne peut pourtant nier que le comportement de personnes très pratiquantes va à l’encontre de ce principe.

La ligne de conduite (“sirat”) n’est pas une chose que l’on peut aisément ignorer. Si la conduite des musulmans de l’avènement de l’Islam à nos jours a véritablement été telle, de façon constante et continue, qu’ils ont considéré le “couvrement” du visage et des mains comme nécessaire, ceci constituera une preuve claire du fait que ce fut une leçon que les musulmans apprirent du Noble Prophète et des Purs Imams.

La “ligne de conduite continue” des musulmans s’inspire par définition de la ligne de conduite du Prophète, laquelle constitue évidemment une preuve légale.

Dans nombre de cas, les jurisconsultes se fondent sur la ligne de conduite pour confirmer les principes. Ils disent par exemple au sujet du rasage de la barbe que la preuve la plus solide de son interdiction est la ligne de conduite des musulmans, qui s’en abstiennent (là, bien entendu, il a été objecté que du non-rasage de la barbe, d’usage parmi les musulmans, on peut déduire que le port de la barbe n’est pas interdit, mais non le fait qu’il soit obligatoire, car il se peut qu’il soit simplement recommandé ou permis). On s’est également appuyé sur la ligne de conduite des musulmans à propos de la question du “couvrement”.

En réponse à un tel raisonnement, nous devons prêter attention au point historique et social suivant: Si le “couvrement” n’était pas de coutume chez les arabes et qu’il y fut engendré par l’Islam, il avait cours chez les peuples non arabes sous les formes les plus sévères. En Iran et chez les juifs et les peuples qui s’inspiraient de la pensée juive, existait un “hijab” bien plus sévère que ce que prescrit l’Islam.

Chez ces peuples, le visage et les mains étaient également couverts, et chez certains même, il s’agissait non de couvrir les charmes et le visage de la femme, mais de la cacher, et cette pensée s’était muée en un usage strict et sévère. L’Islam, s’il n’a pas rendu obligatoire de couvrir le visage et les mains, ne l’a pas interdit non plus, à savoir qu’il ne s’est pas soulevé contre le “couvrement” du visage et n’a pas rendu obligatoire de le laisser découvert, et par conséquent, les peuples non arabes devenus musulmans suivirent leur ancienne habitude.

L’Islam ne s’oppose au “couvrement” du visage qu’en ce qui concerne les “mahârem”*. Au contraire, comme nous l’avons fait remarquer auparavant, l’exception du visage et des mains est une autorisation facilitatrice: du point de vue éthique, c’est le “couvrement” qui prévaut en Islam [contre le “découvrement.”].

Pourtant, à supposer qu’il ait existé une telle ligne de conduite, cela ne constitue pas une preuve du caractère obligatoire du “couvrement” du visage et des mains.

En outre, une telle ligne de conduite n’a existé ni à l’époque du Prophète et des compagnons, ni à celle des Purs Imams. Des recoins de l’Histoire, il ressort que la ligne de conduite des musulmans aux premiers siècles de l’Islam a été très différente de ce qu’elle fut aux siècles suivants, en particulier après le brassage du peuple arabe avec les autres peuples et surtout à la suite de l’influence exercée par les us et coutumes de l’Empire Romain oriental d’une part et par les traditions iraniennes d’autre part, à tel point que nombre d’historiens occidentaux dépourvus d’une connaissance juste des textes islamiques se sont figurés qu’à la base, l’Islam n’a pas donné de commandements à propos du “couvrement”, et que tous ont été communiqués aux musulmans de l’extérieur du monde de l’Islam.

Nous en avons rapporté les propos dans le premier chapitre de cet ouvrage. Bien entendu, comme nous l’avons fait remarquer auparavant, ces propos ne sont rien de plus que des non-sens. L’Islam contient des commandements formels au sujet du “couvrement” et a également en vue une philosophie particulière en la matière.

Ainsi, non seulement une telle ligne de conduite constante n’a pas existé, mais à supposer même qu’elle ait existé parmi les musulmans, cela ne constitue pas une preuve, à moins qu’il ne soit prouvé que la pratique des “ma’sumin”* eux-mêmes y ait été conforme, ce qui n’est évidemment pas le cas.

Il apparaît au contraire d’après certains récits que la pratique des “ma’sumin” ne fut pas non plus conforme à ce qui est devenu courant au cours des derniers siècles dans le monde islamique.

Se fonder sur la ligne de conduite des musulmans requiert une investigation historique profonde. Des milliers de mutations paisibles et progressives apparaissent en pratique dans le comportement des peuples, que l’histoire s’abstient d’enregistrer parce qu’ils ne s’accompagnent pas d’un événement bruyant. Par exemple, tant de changements se produisirent au cours des siècles en matière de mode vestimentaire masculine qu’ils ne sont pas recensables.

Telle que nous avons expliqué la ligne de conduite, on ne peut plus la considérer comme s’inspirant de la ligne de conduite prophétique ni comme une leçon du Noble Prophète, et elle ne constitue point une preuve légale. Quand bien même nous pourrions prouver l’existence d’une telle ligne de conduite chez la personne du Prophète, cela ne constituerait pourtant pas une preuve d’obligation, mais uniquement une preuve de licence et au maximum de “préférabilité”.

Comme nous l’avons fait remarquer dans le commentaire du verset “…et si elles cherchent la chasteté, c’est mieux pour elles”(15), il ne fait pas de doute que plus est respecté le principe du “couvrement” et mieux est assuré le dessein de l’Islam.

Chahid Thâni, dans son ouvrage intitulé Al-Massâlik, écrit en abordant cette question: “L’affirmation d’un consensus des musulmans sur la défense de maintenir à découvert le visage et les mains est réfutée. En premier lieu, pour cette raison qu’il fut également rapporté à l’encontre d’un tel consensus, à savoir que la “ligne de conduite” des musulmans a toujours été telle que les femmes laissaient découverts leur visage et leurs mains.”

(Précédemment, l’auteur énonce en ces termes un des arguments des tenants du maintien à découvert du visage et des mains: “Il a généralement été d’usage à tous les siècles que les femmes sortent de chez elles le visage découvert, et nul ne considérait cela comme blâmable.”)

“En second lieu, poursuit-il, à supposer que nous admettions que la ligne de conduite des musulmans se conforme à la défense de découvrir le visage et les mains, ceci ne constitue pourtant pas encore une preuve, car c’est lorsqu’il n’existe pas d’autre origine que l’acquiescement à l’ordre du Prophète que la ligne de conduite devient une preuve de l’ordre du Prophète; mais ici, il est probable que l’origine de cette ligne de conduite soit le sens de “gayrat” et de virilité d’individus et non l’obéissance au commandement du Prophète, comme le montrent les apparences.

“Il se peut également que l’origine de la ligne de conduite soit la suprématie du “couvrement”, car il ne fait pas de doute qu’en supposant la licence, couvrir est préférable à laisser découvert.”

2- Le critère

Une autre raison qui a été avancée en faveur de la nécessité de couvrir le visage et les mains est que le critère, c’est-à-dire cette philosophie qui rend nécessaire le “couvrement” des autres parties du corps, implique que le visage et les mains soient également couverts.

La philosophie du “couvrement” des autres parties du corps n’est-elle pas dûe à leur côté séducteur? Or la beauté du visage et son côté séducteur ne sont pas moindres que ceux de certaines parties du corps, bien au contraire. Par conséquent, il ne serait pas sensé que soit par exemple obligatoire le “couvrement” des cheveux à cause de leur beauté et de leur caractère séducteur, mais pas celui du visage qui est pourtant le centre des beautés de la femme. En Islam, est prohibée toute chose qui excite le désir et ruine la pudeur et la chasteté: est-il possible que sur une telle base, le “couvrement” des mains et surtout du visage n’ait pas été tenu pour nécessaire?

En réponse à ce raisonnement, nous dirons que sans aucun doute, le caractère non obligatoire du “couvrement” du visage et des mains ne vient pas de ce que le critère et la philosophie essentielle du “couvrement” ne le concernent pas. Comme nous l’avons fait remarquer auparavant en citant les anciens commentateurs, un autre critère exige que dans ce cas soit faite une exception. Ce critère est le suivant: le “couvrement” du visage et des mains, s’il était imposé comme une obligation, représenterait une astreinte et priverait la femme de la possibilité d’une activité normale.

Comme nous l’avons également dit auparavant, le “couvrement” du visage et des mains constitue la frontière entre la claustration et la non-claustration de la femme, et la signification et l’effet du “hijab” changent totalement suivant que l’on ajoute ou que l’on supprime cette partie.

Pour éclaircir davantage la question, il nous faut expliquer une expression appartenant à la terminologie du Fiqh: selon les jurisconsultes, le licite (“mobâh”) est de deux types: le licite “nécessaire” et le licite “non nécessaire”.

Certains actes ou pratiques sont dépourvus à la fois d’un intérêt qui motive que le législateur les rende obligatoires et d’une nuisance qui rende nécessaire son interdiction. Dénués d’un critère en faveur de leur obligation ou de leur interdiction, ils sont considérés comme licites (“mobâh”), et c’est la raison pour laquelle ils sont appelés licites “non nécessaires”. Ils représentent peut-être la plus grande partie des “licites”.

Mais certains autres actes ou pratiques doivent leur caractère licite à l’existence d’une logique qui implique leur autorisation. A savoir que si la Loi religieuse n’autorisait pas ces actes, cela aurait certainement des conséquences négatives. Ce type de “licites” est appelé “licites nécessaires”. Il se peut qu’il existe dans l’accomplissement ou dans l’abstention de ce type d’actes un intérêt ou une nuisance, mais à cause d’un intérêt plus important qui en rend nécessaire l’autorisation, la Loi religieuse les a établis comme permis, renonçant au premier critère.

Les “licites” établis comme tels à cause de la gêne(16) appartiennent à cette catégorie. La Loi religieuse, compte tenu du fait que l’interdiction de certains actes rendrait aux gens l’existence difficile, s’abstint de les interdire.

Le problème du divorce en constitue le meilleur des exemples. Selon l’Islam, le divorce est sans aucun doute un acte exécrable, à tel point qu’il l’a désigné comme le pire et le plus détestable des licites. Néanmoins, la Loi religieuse ne l’a pas interdit, accordant à l’homme le droit de divorcer de sa femme.

Là se pose la question suivante: Si cet acte est abhorré de la Loi religieuse de l’Islam, pourquoi l’a-t-elle donc établi comme licite (“halâl”)*? Et s’il n’est pas exécrable, pourquoi toute cette réprobation à son sujet? Et que signifie dans le principe l’expression “le plus détestable des licites”?

Les narrateurs de Hadiths rapportent qu’Abou Ayoub Ansari voulait divorcer de son épouse Oum Ayoub. Le Noble Prophète en eut vent et dit: “Divorcer d’Oum Âyoub est un grand péché.”

Néanmoins, si Abou Ayoub avait divorcé de son épouse, le Prophète n’aurait pas dit que ce divorce est nul. Quelle est la clef de ce problème? Est-il possible qu’une chose soit exécrable à la mesure d’un interdit (“harâm”)* tout en étant licite?

Effectivement, il se peut qu’une chose soit abhorrée à la mesure d’un interdit et davantage encore que la plupart des interdits, sans être néanmoins interdite en vertu d’un certain intérêt.

La clef de ce problème en matière de divorce est que l’Islam ne veut pas édifier le mariage sur la contrainte, mais sur l’affection. L’amour et l’affection n’obéissent pas à la contrainte et il ne serait pas juste que la loi veuille enchaîner la femme à son époux. Lorsqu’il n’existe pas d’affection entre mari et femme, l’infrastructure de la famille s’anéantit naturellement.

En particulier si l’aversion provient de l’homme (…). En effet, si l’homme est aimant, la femme qui selon sa nature cherche à être aimée sera aimante elle aussi (…). Aussi la clef du cercle familial est-elle entre les mains de l’homme, et dès lors que disparaît son amour, le cercle familial se démembre naturellement. Un tel centre, qui doit reposer sur l’affection, l’amour et l’intimité, ne peut être maintenu par la contrainte et la force de la loi (…).

L’Islam a envisagé des mesures destinées à empêcher l’apparition de froideur et d’indifférence entre les conjoints, et à faire graviter l’homme, tel une phalène autour d’une bougie, autour de l’existence de son épouse; néanmoins, si apparaissent des causes d’insatisfaction et de séparation et que l’homme veut divorcer de sa femme, l’Islam ne s’y oppose pas tout en considérant cela comme fort malséant, car il n’y a plus d’autre solution.

Ceci est un exemple clair des licites “non nécessaires”.

La plupart des exceptions en matière de “hijab” appartiennent à cette catégorie, qu’elles concernent les “mahârem” ou la mesure du “couvrement”. Par conséquent, plus la femme est couverte vis-à-vis des “mahârem” – autres que l’époux – et mieux c’est.

Si l’excitation de la sensualité est pratiquement nulle en ce qui concerne les “mahârem” au premier degré comme le père, le fils, l’oncle ou le frère, le pouvoir d’attraction d’une femme, en particulier si elle est jeune et belle, n’est pas sans effet vis-à-vis des “mahârem” des degrés suivants, en particulier des “mahârem” ”causals” comme le beau-père et le beau-fils.

L’autorisation de la Loi religieuse à ce propos a pour raison d’être la nécessité de fréquentation et les nombreuses relations inévitables entre “mahârem”. Pensez combien la vie familiale serait difficile si la femme devait se couvrir vis-à-vis de son frère ou de son père.

En ce qui concerne le père et l’oncle, et même le frère, le désir sexuel n’existe pas par nature, si ce n’est chez les individus dépravés et anormaux; mais en ce qui concerne le beau-fils, l’essentiel du critère est bien la gêne et l’embarras.

Ce critère de gêne et d’embarras du caractère licite de l’abstention de “couvrement” vis-à-vis de certains “mahârem”, nous le déduisons du verset 58 de la sourate La Lumière:

« Nul grief à vous ni à eux de faire des tours chez vous, les uns chez les autres…” (17).

Certains exégètes, comme l’auteur du Kackchâf, ont également fait remarquer ce point à propos de ce verset. Comme nous l’avons dit à maintes reprises, ces exceptions proviennent de la gêne et non du fait que le critère d’interdiction n’existe pas. Par conséquent, plus le “couvrement” est respecté et mieux c’est: la séparation de l’homme et de la femme, le “couvrement”, le renoncement au regard et à toute autre chose qui éloigne de la limitation des questions sexuelles, sont préférables et doivent être respectés autant que possible, (…)

Nul instinct n’est plus rebelle et plus vulnérable que l’instinct sexuel. Les précautions et les recommandations de l’Islam, basées sur l’éloignement des femmes et des hommes étrangers dans la mesure où cela n’engendre pas de gêne ou de paralysie, sont fondées sur ce principe psychologique, que la psychologie et la psychanalyse confirment sans réserve. L’Histoire et les anecdotes témoignent de ce qu’une rencontre, un échange de regards ont parfois disloqué la base d’une famille en l’espace d’un instant.

On peut se reposer sur le pouvoir de la piété et de la foi face aux facteurs de tous les péchés, sauf pour les péchés relatifs à l’instinct sexuel. L’Islam n’a jamais considéré le pouvoir de la piété et de la foi, qui sont pourtant les plus grands des pouvoirs éthiques, comme un garant vis-à-vis des provocations et des intrigues de cet instinct. (…)

3- La tradition

Le troisième des arguments de ceux qui ont considéré comme nécessaire le “couvrement” du visage et des mains est une Tradition rapportée dans les livres de hadiths, dont voici la teneur: Lors du Pèlerinage d’Adieu, une femme se rendit auprès de l’Envoyé de Dieu pour le questionner au sujet de quelque problème. Fazl ibn Abbas chevauchait derrière lui la monture du Prophète. Des regards furent échangés entre Fazl et la femme, le Prophète se rendit compte que tous deux se fixaient du regard, et que la jeune femme, au lieu de prêter attention à sa réponse, était toute à Fazl, qui était un beau jeune homme dans la fleur de l’âge.

Le Noble Prophète fit pivoter de la main le visage de Fazl en disant: “Une jeune femme et un jeune homme: j’ai peur que Cheytân ne s’insinue entre eux”(18).

Chahid Thâni, dans Massâlik, répond en ces terme à une telle argumentation: “Cette Tradition est une preuve de la non-obligation de couvrir le visage, et même de la licence de regard sur le visage d’une étrangère, et non une preuve du caractère obligatoire du “couvrement” du visage et du caractère interdit du regard.”

Nous commenterons ainsi les propos de Chahid: en premier lieu, selon la teneur de ce hadith, le Noble Prophète n’avait pas interdit à la femme de laisser son visage à découvert puisque cela aboutit à cet incident. En second lieu, le Prophète lui-même, en répondant à la question de la femme, regardait son visage pour s’être rendu compte que cette femme fixait avidement du regard le beau visage de Fazl.

Troisièmement, le contexte de ce récit rapporte que l’échange de regard de ces deux derniers était sensuel. Or il ne fait pas de doute que ce type de regard est interdit (“harâm”), et c’est la raison pour laquelle le Noble Prophète, portant la main par-derrière, tourna le visage de Fazl dans une autre direction afin qu’il cesse de regarder cette femme et inversement.

Quatrièmement, après cet incident, il n’a pas non plus ordonné à la femme de se couvrir le visage, s’étant uniquement opposé en pratique aux regards sensuels de ces deux-là.

Dans le Livre du Mariage, rapportant ce hadith de la part des partisans du “couvrement” du visage et de l’interdiction du regard, Cheikh Ansari écrit: “Ce hadith dénote davantage à l’encontre de ce qu’ils prétendent.”

4- La demande en mariage

Un autre des arguments de ceux qui tiennent pour nécessaire le “couvrement” du visage est que l’autorisation ayant été donnée à celui qui a l’intention de se marier de regarder le visage de la femme qu’il a en vue, cela signifie que le regard n’est pas permis à celui qui n’en a pas l’intention. Citons certaines des Traditions en la matière:

Abou Horeyra raconte: “J’étais auprès de l’Envoyé de Dieu lorsqu’un homme vint et dit: Je me suis marié avec une femme “ansar”*. – “As-tu vu cette femme?” lui demanda le Prophète. – “Non”, répondit l’homme. – “Va la voir, car les yeux des “ansars” ont ordinairement un défaut.” (19)

Moghira ibn Chubah demanda la main d’une femme. Le Prophète l’apprit et lui dit: “Va la voir, car si tu la vois avant de l’épouser, cela vaut mieux pour la pérennité de votre mariage.” (20)

De l’Imam Sâdeq sont rapportés les propos suivants: “Lorsque quelqu’un veut épouser une femme, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’il regarde son visage et ses bras.” (21) La teneur inverse de ce hadith serait qu’il n’est pas permis de regarder lorsqu’il n’est pas question d’intention de mariage.

Comme l’ont dit les jurisconsultes, la réponse à cette inférence est la suivante:

Premièrement, le regard du prétendant diffère du regard des autres. Il regarde avec les yeux d’un “acquéreur” et a ainsi une vision “autonome” qui n’est ordinairement pas dénuée de délectation. Aussi les jurisconsultes disent-ils que le regard du prétendant ne présente pas d’inconvénient tout en sachant qu’il en résulte de la délectation – sa finalité devant être bien entendu l’investigation et non la délectation elle-même.

Un autre que prétendant, par contre, s’il ne veut pas regarder à dessein d’en tirer jouissance, aura un regard “intrinsèque” et non “autonome”. Nous avons énoncé dans le commentaire du verset 31 de la sourate La Lumière la différence entre ces deux types de regards, que nous résumerons ainsi:

Celui qui n’a pas en vue la demande en mariage ne doit pas jauger la femme avec un regard fixe et des yeux d’acquéreur, mais ceci n’est pas incompatible avec le fait que soit autorisé le regard de façon “intrinsèque” sur le visage d’une femme, c’est-à-dire dans la mesure nécessaire à la conversation.

Deuxièmement, en ce qui concerne le regard qui prélude à la demande en mariage, ainsi que l’indiquent d’autres Traditions et que les jurisconsultes en délivrent sentence, la licence de regard ne se réduit pas au visage et aux mains, mais concerne la totalité des charmes féminins. Citons à titre d’exemple deux Traditions à ce sujet:

1- Abdollah ibn Sinan rapporte qu’il demanda à l’Imam Sâdeq: “Lorsque quelqu’un est déterminé à se marier avec telle femme, lui est-il permis de regarder ses cheveux?” – “Oui, répondit-il, car il en est l’acquéreur au plus élevé des prix.” (22)

C’est-à-dire que ce que l’on investit dans la vie conjugale est plus précieux que tout. Il est clair qu’il ne s’agit pas là du douaire, car la valeur financière du douaire ne représente pas le plus élevé des prix. Cela signifie plutôt qu’il veut passer sa vie en sa compagnie.

2- Un homme demanda à l’Imam Sâdeq si un homme qui a l’intention de se marier a le droit de regarder les cheveux et les charmes de la femme qu’il a en vue. “Cela est sans inconvénient, répondit-il, pourvu que son dessein ne soit pas la délectation.” (23) Il apparaît donc que la licence de regard pour le prétendant ne concerne pas uniquement le visage et les mains.

En troisième lieu, notre exposé concerne pour le moment la nécessité de couvrir le visage et les mains et non la licence de regard pour l’homme. A supposer que les Traditions indiquant qu’il est permis au prétendant de regarder le visage de la femme élue signifient en contrepartie qu’il n’est pas permis au non prétendant de le faire, ceci constitue une preuve de la non-licence de regard pour l’homme sur le visage de la femme étrangère, et non de l’obligation pour la femme de couvrir visage et mains.

5- Le verset du « jilbab »

Un autre argument auquel il peut être fait référence est le verset qui dit: ”Ho, le Prophète! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de ramener sur elles leurs voiles…” (24)

Cette argumentation se base sur l’idée que “ramener sur elles leurs voiles” signifie par allusion “se couvrir le visage de leurs voiles”, comme l’ont interprété nombre d’exégètes tels que Zamakhchari dans Kachchâf et Fayd dans Sâfi.

Or dans le chapitre intitulé “Les limites de la pudeur” nous avons établi que cette interprétation n’a aucun fondement. Nous avons confirmé l’opinion de certains autres exégètes tels que l’auteur du commentaire Al-Mizân(25). Autant que nous nous souvenions, aucun jurisconsulte ne s’est appuyé sur ce verset à titre d’argument en faveur de l’obligation du “setr” [du visage].

Notes :

1-Ce terme est employé ici au sens de “qui comporte des risques” (petit Robert). (N.d.t.).

2-Coran, 18: 11

3-Al-Wassaïl, t. 3, p. 2.5.

4-Ibid, p. 29.

5-C’est-à-dire des “Gens du Livre” (juifs, chrétiens et zoroastriens) qui vivent sous l’auspice du gouvernement islamique conformément à un pacte.

6-Al-Wassaïl, t. 3, p. 26.

7-Ibid.

8-Il s’agit des juifs, des chrétiens et des zoroastriens (N.d.t.).

9-Al-Wassaïl, t. 3, p. 26 (dans ce hadith, l’Imam désignait les femmes de la région de Tohama en Arabie, qui était peuplée de nomades et de bédouins).

10-Qurb-ut Isnad, p. 40.

11-Al-Wassaïl, t. l, p. 135.

12-Qurb-ul Isnad, p. 102.

13-(…) [Certains demanderont] comment il se pouvait que le teint de la fille du Prophète soit jaune à cause de la faim et pour quelle raison elle était affamée.

Il faut prêter attention à deux points: d’une part, la vie des musulmans à Médine se déroulait à l’époque difficilement la plupart du temps; les guerres et les conflits frappaient systématiquement la précaire économie médinoise, parfois accompagnés par la sécheresse, comme l’année où eut lieu la guerre de Tabouk*.

C’est ainsi que l’armée de Tabouk fut appelée l'”armée des circonstances critiques. Les compagnons de soffah* se trouvaient parfois dans un dénuement tel qu’ils n’avaient même pas de vêtements suffisants pour participer à la prière communautaire. Un jour, l’Envoyé de Dieu vit un rideau accroché dans la demeure de sa fille Fatima, et en témoigna de la contrariété. Fatima le fit immédiatement remettre à son père, qui le partagea, coupé en morceaux, entre les compagnons de soffah.

D’autre part, s’il est vrai qu’Ali était un homme de labeur, qui outre son salaire de soldat faisait des travaux d’agriculture et gagnait parfois sa vie comme journalier dans les vergers des autres, Ali et Fatima n’étaient pas gens à se coucher rassasiés tandis qu’il y avait autour d’eux des ventres affamés, et faisaient don aux autres de ce dont ils disposaient. La sourate L’Homme (76) fut révélée pour exalter les actes d’altruisme accomplis par Ali et Fatima.

14-Al-Kâfi, t. 5, p. 528.

15-Coran, 24: 60

16-que représenterait selon les cas leur caractère obligatoire ou interdit (N.d.t.).

17-Coran, 24: 58.

18-Sahih Bukhâri, v. 8, p. 63.

19-Sahih Moslem, t. 4, p. 142

20-Jami’ al-Turmidhi, p. 175

21-Wâfi, v. 12, p. 58; Wassaïl, v. 3, p. 11; Kâfi, v. 5, p. 365.

22-Wassaïl, t. 3, p. 12; Tahzib, t. 7, p. 435.

23-Kâfi, t. 5, p. 365; Wassaïl, t. 3, p. 11.

24-Coran, 33. 59

25-Allameh Tabâtabâï