Pourquoi l’Imam doit-il être infaillible

La question de l’impeccabilité -ou de façon plus courante de l’infaillibilité du Prophète et de l’Imam est de celles qui ont donné lieu aux plus grandes controverses dans l’histoire des idées en Islam.

Les chiites affirment avec force que l’Imam est infaillible (Ma’sûm), et considèrent que cette qualité est une condition siné qu’a non de la validité du rang d’Imam, car ce rang revêt aux yeux du chiisme, une signification extrêmement importante: ayant en charge l’essentiel des responsabilités de la communauté de l’Islam, il est exposé en permanence au risque de l’erreur et de la déviation, selon qu’il sait ou ne sait pas quelle attitude adopter.

Sans doute toute erreur de sa part entraînerait pour la communauté une perte de crédit, et des effets incurables, même à long terme.

Les chiites considèrent que cette attention spéciale qu’ils accordent à l’infaillibilité est une preuve de la maturité de leur pensée religieuse, et de leur compréhension profonde de l’essence de l’Islam.

Ils cherchent à connaître le guide spirituel avec une extrême minutie, car une telle fonction ne peut échoir qu’à un être doté de toutes les perfections.

L’infaillibilité est le résultat de l’excellence morale de l’Imam et de la grâce divine qui lui accorde la science et la connaissance de tout ce dont il a besoin pour conduire les affaires des musulmans, en tant que communauté ou individus.

Ces caractéristiques ne peuvent être réunies qu’au sein des Imams de la Famille de l’Envoyé de Dieu.

De leur côté, les sunnites n’exigent pas de leurs dirigeants qu’ils soient dotés de la qualité d’infaillibilité. Ils considèrent que l’obéissance religieuse est due même à un calife corrompu.

Le terme arabe ‘isma, que nous rendons par infaillibilité, connote le sens de protection, de préservation.

C’est une force intérieure qui protège l’homme de l’erreur.

Sans elle, l’Imam serait comme tous les autres hommes, sujet à l’erreur. C’est une grâce accordée par Dieu à l’Imam afin de le préserver de la désobéissance, de l’erreur, de la déviation, et de le donner en exemple aux hommes.

L’Imam n’est pas seulement un chef politique au sens où nous l’entendons communément. Il a la responsabilité de maintenir la religion présente au monde.

L’infaillibilité peut être comprise comme un degré élevé de la perfection, dont nous pouvons constater à toutes les époques des modèles partiels. Il nous arrive de rester admiratif devant les écrits ou les actions de certains grands hommes qui ont pu parvenir dans leurs domaines respectifs, à un degré qui nous paraît être la perfection même.

L’Imam est tel dans ses fonctions: il a été créé pour guider;

Dieu lui a donné les qualités nécessaires pour cela. Il ne commet pas de péchés, pour la bonne raison qu’il est plongé en permanence dans la contemplation divine.

Tous les philosophes définissent les mauvaises œuvres comme le résultat de l’ignorance. Plus un homme connaît, moins il s’expose au risque du péché, ou de la mauvaise action. L’Imam est naturellement protégé de l’erreur; il n’a pas besoin d’une contrainte extérieure pour se maintenir sur le droit chemin.

Le Cheikh al-Sadûq rapporte dans son livre Al-Amâli, que Muhammd ibn Abi ‘Umayr a dit:

“Tout au long de ma longue amitié avec Hicham ibn al-Hakam (le célèbre adepte de l’Imam Ja’far al-Sâdeq), je n’ai pas entendu, et je n’ai pas mieux profité de ses paroles que de celle où il me définit l’infaillibilité de l’Imam.

Je lui demandai un jour si l’Imam était infaillible.

Il me répondit: “oui!”.

Je lui demandai: “En quoi consiste cette qualité? et par quoi la reconnaît-on en lui?

Il dit: “Tous les péchés se présentent sous quatre aspects possibles. Il n’en est pas de cinquième: l’avarice, l’envie, la colère, la concupiscence. Or ces défauts ne sont pas en lui (l’Imam).

Il ne lui est pas permis d’être avare des biens de ce monde, puisque ce monde est sous son autorité; il est le trésorier des musulmans, de quoi serait-il cupide? Il ne lui est pas non plus licite d’être envieux, car l’on n’est jaloux que de celui qui nous paraît être meilleur, or il n’est personne de meilleur au-dessus de l’Imam, comment envierait-il ceux qui lui sont inférieurs?

Il ne lui est pas permis de manifester sa colère pour des affaires de ce monde, à moins que sa colère exprime une désapprobation religieuse, qu’elle soit inspirée par Dieu.

Dieu lui a imposé d’appliquer les peines légales, et de ne pas prêter l’oreille aux propos des blâmes, ni de faire montre de pitié mal placée, lorsqu’il s’agit de mettre à exécution des jugements de la Loi.

Enfin, il ne lui est pas permis de suivre les plaisirs des sens ni de préférer l’ici-bas à l’au-delà; car Dieu lui a fait aimer l’au-delà autant qu’il nous fait aimer ce monde-ci. Sa face est tournée vers l’au-delà, et la nôtre vers ce monde.

As-tu vu quelqu’un détourner son regard d’un beau visage vers un visage de laideur? Ou abandonner un plat délicieux pour un plat amer; un vêtement doux pour un habit rugueux; une grâce parfaite et éternelle pour un monde transitoire et éphémère?”(1)

Les hommes se soumettent à l’Imam, en tant que devoir religieux; et ils reçoivent ses enseignements, en tant qu’ils les perçoivent comme des enseignements divins, sans hésitation ou doute.

Mais s’ils avaient le doute que cet homme pouvait faillir à tout moment, et se laisser choir dans le péché et les tourments des passions, comment pourraient-ils accorder le moindre crédit à ses paroles, et à ses ordres.

Or nous savons que le commun des hommes sont en permanence exposés aux risques de l’un ou l’autre des péchés, l’un ne manquant pas d’entraîner les autres. Seul un être prémuni par Dieu, peut donc assumer la tâche d’aider les hommes à réaliser totalement leur foi.

Sans un tel homme, le message religieux transmis par les Prophètes sera toujours pris en défaut, puisque ne disposant pas d’un critère vivant pouvant trancher en toute équité entre les nombreux jugements contradictoires qui naissent dans les esprits des hommes, ou qui sont impliqués par leurs actes.

Nous sommes chaque jour les témoins, à travers les moyens de communications, de chutes d’hommes politiques ambitieux en raison de certains scandales dans leur vie privée, avant ou après leur arrivée au pouvoir. Ceci, se passe dans des sociétés qui se veulent laïques et profanes.

A plus forte raison dans une société qui veut réaliser un projet divin, le moindre écart serait pris en compte. C’est la raison pour laquelle on exige de l’Imam la perfection. Il ne doit faillir ni avant, ni pendant l’exercice de sa fonction. La moindre faute le disqualifierait.

Les ennemis des Imams ont surveillé leurs moindres faits et gestes dans l’espoir de trouver un moyen de les discréditer. Or, en ce qui concerne l’Imam ‘Ali, par exemple, même les sunnites reconnaissent la perfection et l’éminence de son caractère, de son courage au combat, de son éloquence, de sa pudeur, de la supériorité de sa science, de son invincibilité dans les duels, même à un âge avancé. Au contraire de la plupart des autres compagnons du Prophète, ‘Ali n’a jamais, avant l’Islam, rendu un culte aux idoles de la Kaaba, etc… Même les plus malveillants n’ont pas trouvé une seule faiblesse pour le discréditer.

Alors que les hommes connaissent en acquérant progressivement la science, depuis le savoir que donnent les sens physiques jusqu’aux sens internes, l’Imam a pour sa part une connaissance présentielle, c’est-à-dire qu’il connaît les choses directement, en accédant à leur réalité intrinsèque: le risque d’erreur est écarté complètement Cet aspect intérieur dans la vie de l’Imam revêt une importance extrêmement plus grande que sa fonction “extérieure”.

C’est pour cela que bien que les Imams ont été privés de la direction des affaires politiques des musulmans, ils sont restés “présents” aux cœurs des croyants, les inspirant et les guidant vers ce qui est l’essentiel.

Un pilote avisé ne ferait jamais décoller un avion qu’il sait qu’il va exploser dans les cieux après quelques instants. Il est certes libre de décider de décoller ou de rester au sol; mais c’est sa connaissance et son intelligence qui le retiennent de prendre les commandes de son avion, et qui par conséquent réduisent à zéro les risques de la mort Il en va de même pour l’Imam. Celui-ci dispose toujours Son libre-arbitre; l’infaillibilité ne signifie pas pour lui un quelconque automatisme qui le préserve du péché et de l’erreur.

Il agit toujours en connaissance de cause.

Mais d’autre part, et précisément en raison de son intelligence parfaite, il ne détourne jamais son regard de ce qui est juste et utile pour les hommes. Il est toujours au service de Dieu, prêt à tout sacrifier pour Lui, ne penchant jamais pour le péché, l’agression ou l’iniquité.

Il a une connaissance exacte du caractère foncièrement corruptible des péchés, et d’autre part, une connaissance parfaite du caractère sacro-saint de Dieu; ce qui raffermit sa foi et le maintient dans le chemin de l’équité.

Une telle qualité d’homme peut être observée chez des personnes qui ne sont pas infaillibles, mais que leur amour de Dieu fait élever au rang d’exemples d’humanité accomplie.

Note :

1-Cheikh al-Sadûq: Al-Amâli, p. 376.