Réponse à une objection: Imamat-dictature

L’objection la plus souvent relevée est la suivante:

Si le gouvernement des hommes émanait de leurs suffrages, et si la société pouvait se doter d’un chef choisi parmi ses meilleurs éléments, cela serait plus conforme aux principes démocratiques. Les hommes pourraient satisfaire en toute légalité leur désir de gravir les sommets de la liberté, et édifier leur société sur des fondements éthiques et culturels conformes au choix de la majorité. Ainsi conçu, le gouvernement des hommes semble bien structuré pour répondre aux mieux à leurs attentes.

Mais s’il en allait autrement, c’est-à-dire si les hommes étaient tenus à l’écart de la désignation de leur dirigeant, et si, en l’occurrence, un imam, successeur du Prophète leur était désigné d’autorité, doté de pouvoirs absolus, cela ne serait-il pas une tyrannie, une dictature?

Réponse:

C’est un jugement erroné. Car un homme “imposé” par Dieu n’est jamais un dictateur: on ne peut dire cela d’aucun prophète.

En outre, ce que l’on appelle dictature ou tyrannie se retrouve bien dans des Etats régis par des institutions démocratiques. Il s’enduit que la dictature résulte du comportement du chef, de ses décisions et agissements. Un homme peut fort bien arriver au pouvoir par la force puis gouverner sagement; et inversement un autre homme peut y arriver par la voie démocratique et se comporter ensuite en dictateur, n’écoutant que ses désirs.

Lorsqu’on parle d’un système politique ayant l’Imam à sa tête, il faut immédiatement l’associer à l’idée de critères imprescriptibles et de conditions indispensables à celui qui assume la charge d’imam. Tout dirigeant en qui ne se réunissent pas les dites conditions ne peut porter le titre d’imam que par usurpation, et s’il est le chef de la communauté de l’islam, il ne peut conférer à son gouvernement le nom d’imamat.

Car l’imam véritable est désigné par Dieu. En tant que Créateur des hommes et en tant qu’Il les connaît parfaitement, Dieu leur choisit le chef qui leur convient par rapport à l’ordre cosmique, et non seulement par rapport aux conditions historiques ou locales. L’imam agit comme un représentant de Dieu sur terre; il ne suit pas les passions ou les désirs; il veille au contraire au maintien de l’ordre sur la terre conformément à la volonté divine exprimée dans le Coran et la tradition. Il est en quelque sorte astreint à cette fonction, comme les autres croyants sont astreints -Par la loi religieuse- à lui obéir.

C’est Dieu par conséquent qui est le principe et la source de la législation. Cette loi divine est compatible avec la nature humaine; elle concrétise la justice et l’équité de façon générale; et elle fournit aux hommes la base sur laquelle ils s’appuieront pour gravir les échelons de la perfection.

Si le dirigeant est un dirigeant désigné et choisi par Dieu, il est forcément préservé de l’erreur et du péché.

Il ne peut pas songer à autre chose qu’au bien des hommes; et il ne peut entreprendre d’attenter à leur droit, encore moins de les réprimer ou de leur causer du tort.

Dans le système politique reposant sur l’expression de la majorité, le gouvernant se souciera toujours de ne pas heurter les désirs de la majorité, et même de s’y conformer; sans jamais s’inquiéter de la compatibilité de ses désirs avec la Loi divine. Or, ces désirs et aspirations des hommes varient au fil des ans, et ne manquent pas d’influer à leur tour sur la pensée du dirigeant et sa vision du monde…

Ce qui importe finalement pour l’homme politique, c’est de faire l’unanimité, ou du moins de gagner l’adhésion de la majorité, autour de son action et de ses décisions, sans se soucier de la compatibilité ou de la non-compatibilité de celles-ci avec l’équité, ou pire encore avec ses propres convictions intimes. Il est souvent prêt à tout sacrifier pour sauvegarder son poste. Très peu ont été les personnalités politiques qui ont pu se fixer des limites, et renoncer au pouvoir pour des causes morales.

Frank Kent, politologue célèbre a écrit:

“Gagner la majorité est un sujet trop important pour permettre à des mobiles comme la morale, la vérité et l’erreur de s’y immiscer et de nous empêcher d’y parvenir.”(1)

Oui, c’est bien cela le système des élections libres ayant cours dans le monde aujourd’hui. On se joue de la vérité, et de la conscience. Sachant cela, est-il raisonnable que les successeurs du Prophète soient désignés de la sorte, et qu’on leur confie ainsi les rênes du pouvoir?

Comment un chef des musulmans, ignorant tout de la culture islamique et des principes de la religion ainsi que de ses applications, pourrait-il édifier une société islamique à cent pour cent, et y faire appliquer la loi divine en toute loyauté? Comment pourrait-il imaginer, concevoir des réponses adéquates aux mille et une questions nouvelles qui surgissent constamment du fait des progrès de l’humanité et de l’activité des hommes, s’il ne possède pas au moins le sens de la mission?

D’autre part, les minorités, qui peuvent représenter jusqu’à 49% de l’ensemble de la population, sont dans les démocraties, laissées à elles-mêmes, tenues de se soumettre à l’opinion des 51% de la “majorité”. Il n’y a en cela aucune justice.

Qu’est-ce qui permet que la non-majorité soit tenue pour responsable devant la majorité? Et qu’est-ce qui permet à la majorité de priver de sa liberté le reste de la société?

On aura beau dire que cela est commandé par l’intérêt général, cela ne constituera jamais un argument légal, et n’entraînera pas nécessairement une responsabilité légale. Quel est le délit commis par la minorité pour qu’elle se soumette au dictat de la majorité?

Les lois qui sont adoptées par la majorité deviennent exécutoires pour l’ensemble de la société, alors qu’il est possible que la tendance de la majorité soit néfaste et constitue un frein à son épanouissement La vérité ne peut pas se transformer en erreur du fait de la rareté de ceux qui la revendiquent ou s’en réclament De même l’erreur ne peut pas cesser d’être l’erreur quand elle réunit le plus grand nombre.

Il est vrai que souvent c’est l’avis de la majorité qui devient exécutoire, mais cela s’applique seulement par le fait que cet avis est en apparence celui qui présente le moins de défaut Mais il n’a jamais été le trait distinctif de la vérité. Car rien ne prouve que le penchant de la majorité soit plus juste et plus valide que le penchant de la minorité, ou que l’opinion majoritaire doive être une source de la loi, et servir de base à la vie humaine.

Quant aux démocraties qui se voulaient marxistes, nous avons constaté ces dernières années que leurs gouvernements se reposaient sur la terreur et la force; le pouvoir absolu appartenait au Parti unique qui faisait ce que bon lui semblait.

Mais si l’on avait suivi un système où le dirigeant serait désigné sur des caractères divins, le pouvoir aurait appartenu, en fait, à Dieu Lui-même; chose qui recevrait l’adhésion pleine et entière de la masse des croyants; car la raison reconnaît la nécessité de se conformer à l’obéissance aux lois divines. les hommes jouiraient alors du bonheur dans ce monde, et de la conscience tranquille au sujet de leur fin ultime dans l’au-delà.

Ni majorité, ni minorité n’auraient de sens dans ce contexte; puisque le pouvoir réel n’appartiendrait en fait, qu’à Dieu Lui-même, qui est le principe de l’existence. La religion est un programme pour assumer la perfection de l’homme; et l’homme ne serait plus responsable que devant son Seigneur…

Les lois que Dieu a données aux hommes ne visent à rien d’autre qu’à assurer leur bonheur ici-bas et à les préparer à une vie infiniment plus riche et plus épanouie dans l’au-delà. Ces lois ne laissent pas place à l’intrusion des caprices et des ambitions politiciennes des hommes.

Note

1-Du livre: Simâye Chodja’ân, p.35.