L’Imam Ali(P) après le décès du Noble Prophète(P)

Personne, après le décès du Prophète, n’a pu incarner les concepts de l’Islam aussi bien que les a incarnés l’Imâm ‘Alî Ibn Abi Talib. Il est sans contexte le modèle parfait que l’école islamique a présenté à l’humanité.

En effet, autant l’Islam est riche par les idées humaines qu’il contient et qui constituent la synthèse du patrimoine divin qu’ont apporté les religions et leurs législations, ainsi que par la diversité de ce large patrimoine qu’il renferme, autant cette richesse est incarnée par la personnalité de l’Imâm ‘Alî. C’est en matérialisant dans sa pratique l’ensemble de ces idées, que l’Imâm ‘Alî en devient le modèle vivant.

Si sa personnalité incarne si bien les principes islamiques, ce n’est pas par hasard. Éduqué par le Prophète (P), il a assisté alors qu’il était enfant à la “descente” de la révélation sur Muhammad (P). Dès les premiers jours de la naissance de l’Appel islamique, il s’y est converti. Il a pleinement vécu les principaux événements de l’histoire de la naissance de cet Appel et a participé à sa formation aussi bien du vivant du Prophète (P) qu’après son décès. La période pendant laquelle l’Imâm ‘Alî a vécu, constitue la pierre fondamentale de l’histoire islamique, car le prolongement de celle-ci est fondé sur elle.

L’influence de l’Imâm ‘Alî ne s’est pas arrêtée après sa mort. On peut même dire qu’il a marqué l’histoire de l’Islam surtout sur le plan doctrinal plus que tout autre Compagnon. Il suffit de bien retracer les événements de l’histoire islamique pour s’en convaincre. Aussi ce livre nous en offre une occasion.

La personnalité de l’Imâm renferme certaines qualités caractéristiques spécifiques qu’on ne saurait retrouver chez aucun autre Compagnon. Certains oulémas musulmans s’y sont penchés et spécialisés. En outre la conduite sociale de l’Imâm ‘Alî nous révèle certains traits distinctifs de sa personnalité aussi bien lorsqu’il était à la tête du pouvoir que quand il en était exclu. C’est dire qu’il n’est pas facile de cerner les différents aspects de cette personnalité si riche et si variée en caractères et traits distinctifs et si profonde dans l’ensemble. Aussi l’auteur de la présente étude s’est-il contenté de traiter des aspects de cette personnalité, dont les moyens de recherche sont disponibles.

Ce livre présente au lecteur certaines attitudes politiques et sociales de l’Imâm, à travers les différentes phases qu’il a traversées. L’auteur a jeté la lumière notamment sur quelques positions politiques importantes de sa vie, afin de permettre aux chercheurs de les retracer en remontant à leurs sources historiques, s’ils voulaient approfondir cet aspect de la personnalité de l’Imâm ‘Alî.

Dans le contexte de cette étude, l’auteur attire notre attention sur l’essentiel des attitudes de l’Imâm ‘Alî face à trois événements politiques qui avaient joué un rôle important dans l’histoire politique de l’Islam

1- La manière dont s’est déroulée la prestation du serment d’allégeance au premier calife (la logique de la Saqîfah).

2- La politique fiscale du deuxième calife (son principe de répartition des butins).

3- Le procédé de la désignation (élection) d’un successeur au second calife (le choura).

La lecture de ce livre nous permet de constater que la vie politique de l’Imâm se résume en trois phases principales dans lesquelles il avait pris des positions politiques très claires et très révélatrices:

1- Lorsque l’Imâm ‘Alî n’était pas au pouvoir.

Là il faut retenir son attitude vis-à-vis des événements qui se sont déroulés vers la fin du califat du 3e calife, ‘Othmân. En effet, à la différence de certains Compagnons qui ont participé eux-mêmes à ces événements, l’Imâm ‘Alî a gardé une attitude claire et lucide, guidée par l’intérêt suprême de l’Islam.

2- Lorsque la société islamique se trouvait sans autorité.

Il s’agit de la période qui a suivi l’assassinat de ‘Othmân. Malgré sa brièveté, cette phase témoigne de nombreuses attitudes politiques décisives de l’Imâm ‘Alî, alors que la Umma vivait des moments délicats. Il faut retenir dans cette phase, surtout le dialogue engagé entre l’Imâm ‘Alî et ceux qui se sont révoltés contre ‘Othmân, les entretiens de l’Imâm avec les délégations venues le désigner au Califat et lui prêter serment d’allégeance, les problèmes d’avenir qu’il a soulevés devant ces délégations.

3- Lorsqu’il était à la tête du pouvoir.

Dans cette phase l’Imâm ‘Alî avait lui-même le pouvoir des décisions politiques. C’est surtout pendant cette période que l’école de l’Imâm et ses principes politiques se sont matérialisés. Si dans les phases précédentes, ces principes qui avaient déjà vu le jour ont fait l’objet d’opposition et de résistance, dans cette phase-ci l’Imâm ‘Alî sera plus ferme et plus décidé à les mettre en application en dépit de la résistance de plus en plus intensive et prononcée qu’ils allaient rencontrer.

Cette lutte engagée, à l’aube de l’Islam, entre la position de l’Imâm ‘Alî qui se souciait avant tout de respecter et de faire appliquer l’esprit et la lettre de l’Islam, et celle de ses adversaires dont les préoccupations étaient bien différentes, l’auteur s’applique à nous la montrer en se fondant sur les faits historiques.

Si le mérite de ce livre est de nous expliquer des événements historiques unanimement reconnus, mais souvent mal compris, sa moralité est de nous suggérer que l’application des principes islamiques doit passer avant tout, et ce, quelqu’en soient les conséquences immédiates. Car, en fin de compte, l’autorité politique en Islam ne se distingue-t-elle pas de toute autre autorité politique par son rejet du machiavélisme et de la politique politicienne?

Avant d’aborder les attitudes de l’Imâm ‘Alî face aux événements qui ont marqué son califat, nous devrions nous faire une idée, même brève, des circonstances sociales et politiques qui ont précédé son accession au pouvoir et pendant lesquelles la Umma islamique commençait à subir une déviation nette des enseignements et des principes de l’Islam.

Cette déviation se faisait sentir d’une façon plus tangible, à partir du début de la deuxième moitié du califat de ‘Othmân Ibn Affân. Elle ne tarde pas à devenir par la suite, la cause principale de la situation équivoque, sociale et politique, qui prévalait à l’époque de l’Imâm ‘Alî. Celui-ci y a fait face dès le premier moment où il a accédé au califat et s’est efforcé de réconforter la Umma contre le choc de la déviation et de la ramener à la noble vie islamique.

Nous soulignons ci-dessous les principaux événements et circonstances qui ont contribué aux évolutions importantes, intervenues à l’époque de ‘Othmân et dont les retombées négatives vont s’étendre jusqu’au Califat de l’Imâm ‘Alî.

I – LA LOGIQUE DE LA Saqîfah(1)

Alors que l’Imâm ‘Alî ainsi que d’autres Compagnons étaient encore occupés de la dépouille mortelle du Prophète, et avant même de finir l’enterrement(2), ‘Omar amena précipitamment Abû Bakr à la réunion de la Saqîfah pour débattre du problème de la succession. Ce qui prévalait dans cette réunion, c’était:

– L’esprit tribal qui animait et déterminait la logique des participants rivaux;

– La tendance de chacun de ceux-ci, à accaparer pour soi le pouvoir et à refuser de le partager avec les autres;

– La confirmation des considérations tribales;

– L’acceptation par beaucoup de Partisans(3), de l’idée de deux princes choisis l’un parmi eux, l’autre parmi les Emigrés(3), ce qui a conduit chacune des deux ailes à se croire plus qualifiée que l’autre pour le Califat(4).

Lorsque l’Imâm ‘Alî fut informé de la tenue de cette réunion et de son résultat, il refusa(5), ainsi que ses partisans, la Désignation(6); refus qui a duré six mois. L’Imâm ‘Alî a même considéré la réunion de la Saqîfah comme un complot ourdi en son absence.

C’est cet esprit tribal qui a ouvert la porte aux troubles, comme l’a déclaré ‘Omar lui-même: «La désignation d’Abû Bakr était une erreur dont les conséquences ont été évitées grâce à Dieu. Tuez donc celui qui la recommencerait». (7)

II – LE PRINCIPE DE ‘OMAR DE DISTRIBUTION DES PAYES

Sous le Prophète(P) et Abû Bakr, les payes étaient distribuées d’une façon égalitaire entre les Musulmans. ‘Omar va y appliquer le principe du favoritisme: «Il a ainsi favorisé les plus anciens (des Compagnons) au détriment des autres, les Emigrés de Quraych au détriment des autres Emigrés, les Emigrés au détriment des Partisans, les Arabes au détriment des non-Arabes, les Arabes de souche au détriment des Arabes adoptifs». (8)

Ce favoritisme a provoqué les premières manifestations de la ségrégation de classe dans la société islamique; laquelle ségrégation ne tarda pas à devenir la mèche qui déclencha le feu de la lutte tribale et raciale entre les Musulmans. Et ce fut d’autant plus grave que ‘Omar lui-même s’est rendu compte, vers la fin de sa vie, du danger de son principe et a annoncé son souhait de revenir au principe égalitaire de la distribution des payes: «Si je vivais encore cette année, je traiterais les gens d’une façon égalitaire. Je ne favoriserais pas le Rouge au détriment du Noir, ni l’Arabe au détriment du non-Arabe. Je ferais comme le Messager et Abû Bakr». (9)

III – LE CHOURA(10)

C’est-à-dire la façon dont ‘Omar a choisi six personnages de Quraych et les a présentés à la Umma islamique comme candidat à sa succession au Califat(11).

Ce choix a suscité chez beaucoup de dignitaires de Quraych ainsi qu’au sein de leurs clans et chez leurs partisans, des ambitions politiques – auxquelles ils n’auraient jamais songé en principe – ayant constaté que les candidats désignés par ‘Omar n’avaient aucune qualité qui fût supérieure aux leurs, et que ces candidats leur étaient même inférieurs en beaucoup de choses.

Ces ambitions se sont renforcées lorsque «l’Imâm ‘Alî, candidat de la majorité des Musulmans fut écarté du Califat au profit de ‘Othmân Ibn Affan, candidat de l’aristocratie de Quraych, à la suite du désistement de ‘Abdul Rahmân Ibn ‘Awf qui voulait par son retrait être en position de neutralité et désigner lui-même l’un des deux candidats en lice. Ainsi, il demanda à ‘Alî de prêter le serment, de suivre le Livre de Dieu, la Sunna du Messager et l’action de ‘Omar et d’Abû Bakr.

‘Alî a répondu: «non, … mais j’essaierai de le faire selon ma force et ma capacité».

Lorsqu’il a demandé à ‘Othmân la même chose, ce dernier a répondu favorablement sur-le-champ et il fut désigné comme calife». (12)

L’Imâm ‘Alî a exprimé son mécontentement de ce résultat de la façon suivante: «Je m’y résigne tant que les intérêts des Musulmans sont préservés et que l’injustice ne touche que moi». (13)

Le Choura aura pour conséquence la formation de partis et de blocs fondés sur les allégeances individuelles de ceux qui avaient des ambitions personnelles pour accéder au pouvoir et qui ont exploité, pour ce faire, les motifs des plaintes et des mécontentements exprimés contre ‘Othmân, sa clique et ses gouverneurs, ainsi que d’autres aspects financiers, administratifs et sociaux. Cet état des choses ne tarda pas à déclencher la révolution et à conduire à l’assassinat de ‘Othmân.

AUTEUR: AL-SHIA.ORG

Notes :

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1-Saqîfah: une sorte de tente qui tenait lieu de la maison des Bani Sâ’idah. C’est là que des Compagnons se sont réunis pour désigner un successeur au Prophète.

2- “Sîrat al-Raçûl” d’Ibn Hichâm: II, 108.

3- Les Partisans: les Ansar, c’est-à-dire les partisans médinois qui ont accueilli dans leur ville (Médine) le Prophète et l’ont soutenu lorsqu’il était contraint de quitter la Mecque.

4- Les Emigrés: les Muhâjirlne, ceux qui ont émigré avec le Prophète à Médine pour échapper aux persécutions que leur infligeaient leurs concitoyens mecquois (de la Mecque).

5- Al-bay’ah: prestation de serment d’allégeance à quelqu’un, en vue de le désigner ou de l’accepter comme calife. Il s’agit ici de la désignation d’Abû Bakr au Califat.

6- Voir:

– “Al-Tabarî”, V, 31

– “Al-Kâmil” d’Ibn al-Athîr, III, 31

7- Voir: “Les Conflits et les Rivalités entre les Omayyades et les Hâchimites”, de Maqrizi, annoté par Nouss, p. 48.

8- “Al-Mulk wal Nahl” d’al-Shahristani.

9- “Ibn Abî al-Hadîd”, VIII, III

10- “Ta’rîkh al-Ya’qoubî”, II, 107

11- Concertation, Consultation.

12- “Al-Kâmil” d’Ibn al-Athîr.

13- “‘Othmân” de Tâhâ Hussain.

14- “Nahj al-Balâghah”, Dâr al-Andalous, Tom. I, p. 151.