Islam et Occident Judéo-Chrétien : un antagonisme séculaire ?

” Fous de Dieu, Terroristes, Talibans, Extrémistes, Fanatiques, etc… ” tels sont les qualificatifs les plus véhiculés par ceux qui sont chargés de confectionner notre information quotidienne…

Que ce soit à travers nos écrans de télévision ou dans la presse du soir et du matin; et non seulement depuis le 11 septembre 2001, il ne se passe pas un seul jour sans qu’il ne soit fait référence à l’Islam.

La seule différence que l’on puisse constater entre l’avant et l’après 11 septembre est le déferlement médiatique visant à distinguer les “bons musulmans des mauvais”, en termes plus savants: les modérés et ceux que l’on qualifie “d’islamistes”.

Cette référence reflète souvent une analyse partielle pour ne pas dire partiale de la vision séculaire portée par le monde judéo-chrétien sur l’Islam, il convient de rappeler les déclarations guerrières postérieures à l’attentat aux Etats-Unis exprimées publiquement par Georges W. Bush,métamorphosé en Godefroi de Bouillon contemporain:”IL FAUT DEFENDRE L’EMPIRE DU BIEN CONTRE CELUI DU MAL” ou encore: “IL FAUT PROTEGER NOS ENFANTS DES ENNEMIS DE L’INTERIEUR”.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces propos, selon les circonstances, ont toujours été proférés avec une sémantique plus ou moins élégante.

Depuis la révolution iranienne de 1979, l’expression: “intégristes de l’Islam” circule en permanence dans les agences de presse occidentales.

Ce propos recouvre une notion péjorative qui s’identifie aisément à esprit obscur, source d’ignorance, quand il ne signifie pas tout simplement volonté guerrière visant à l’anéantissement de l’Occident judéo-chrétien. Le petit fascicule que l’on trouve dans les CDI de l’Education Nationale illustre à merveille cette

orientation(“l’islamisme, une forme d’intégrisme”). Toute religion a connu et connaîtra des éléments radicaux qui s’enferment dans un dogme jusqu’à oublier d’en élucider sa rationalité. De ce point de vue, le monde judéo-chrétien n’a rien à envier au monde arabo-musulman.

Pendant que l’Islam connut l’apogée de sa civilisation et qu’elle légua au monde un trésor culturel très fécond, le Moyen Age occidental vivait enfermé dans l’obscurantisme et l’inquisition.

INCOMPREHENSIONS

Il ne s’agit pas de me livrer à une quelconque analyse partisane aussi fondée qu’elle pourrait être sur les antagonismes divers qui régirent les rapports entre l’Islam et l’univers judéo-chrétien dès les débuts de l’hégire. Mon propos consiste à chercher les raisons de ces antagonismes.

Pour comprendre les origines des antagonismes séculaires qui opposèrent l’Islam à l’occident judéo-chrétien, il convient de remonter au 1er siècle de l’Hégire, époque à laquelle généralement les historiens situent les premières tensions, par euphémisme, je dirai les premières incompréhensions.

L’Occident, à cette époque se confondait avec la chrétienté, ce qui conférait au Vatican une puissance temporelle et politique unique. Il va de soi que cette prépondérance s’accordait mal avec l’expansion de l’Islam qui, un siècle à peine après son avènement, avait atteint les régions méridionales de l’Europe ,

c’est-à-dire une grande partie de l’Espagne et du Portugal actuels, quelques provinces du Sud de la France et la lisière Occidentale de l’Italie. L’élément capital c’était qu’une religion monothéiste surgissait à côté d’une autre religion monothéiste (le christianisme) qui couvrait l’ensemble de l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Si le conflit entre musulmans et chrétiens ne comportait que des mobiles politico-militaires, le Vatican ne s’en serait pas particulièrement inquiété, dans la mesure où ces territoires européens avaient dans le passé subi plusieurs vagues d’invasions aussi destructrices les unes que les autres. Seulement un défi sous-jacent à cette confusion se faisait déjà sentir: la Papauté, véritable détentrice du pouvoir politique en ce temps-là ne pouvait accepter l’expansion d’une religion monothéiste prônant l’existence et la récapitulation prophétique des révélations antérieures et de surcroît les parachevant par une nouvelle révélation: celle transmise au Prophète Muhammad (SWS).

Ceci représentait un bouleversement spirituel et culturel qui devait fatalement aboutir à des affrontements militaires.

EMERGENCE

D’autre part, les premiers siècles de l’Hégire correspondent à l’émergence d’un terrain très favorable à l’épanouissement des sciences et de la culture.

Pendant qu’au Moyen-Age, en France, les écoles chrétiennes n’enseignaient que le chant liturgique, lire et compter. Les musulmans lançaient des expéditions pour retrouver les bons ouvrages grecs et latins, édifiaient des observatoires pour apprendre l’astronomie, faisaient des voyages pour s’instruire en matière d’histoire naturelle et fondaient des écoles pour y enseigner toutes les sciences.

Ainsi de nombreuses communautés chrétiennes décidèrent de répondre à “cette menace culturelle et spirituelle en déclenchant ce qui conditionnera jusqu’à aujourd’hui les rapportsentre l’Islam et le monde judéo-chrétien Islam: une longue confrontation de deux siècles plus connues sous le nom de Croisades.

Certains croisés au contact des populations musulmanes constatèrent un décalage immense entre la vision développée en Europe sur l’Islam et leurs constatations visuelles.

Cependant les croisades engendrèrent des réactions très hostiles parmi la population européenne et donnèrent ainsi corps aux préjugés défavorables que chacun se faisait de l’Islam.

Il convient de souligner l’âge d’or d’Al-Andalus qui apparaît comme l’apogée de la science et de la connaissance dans tout le monde musulman; à titre d’exemple, je citerai le traitement des maladies psychiatriques à une époque où l’Occident judéo-chrétien considérait les malades atteints de troubles psychiques comme “possédés par le démon” et tentait d’y remédier dans un premier temps par l’imposition des mains sur la tête “du possédé” par des moines et ensuite l’isolement total de la personne jusqu’à la fin de sa vie.

On sait aujourd’hui que Al-Andalus a constitué la mère nourricière de la Renaissance européenne, en effet, comment ignorer l’apport de penseurs tels que Ibn Rushd (dit Averroes), Ibn Arabi, Maïmonides ou encore le célèbre chirurgien andalou Aboul-Qasim qui avait mis au point dès le troisième siècle de l’hégire (10ème de l’ère chrétienne) la cautérisation des plaies, destruction des calculs de la vésicule, invente des procédés de manipulation et d’intervention obstétricales, l’utilisation du plâtre pour les fractures ouvertes,etc…).

Certes, la culture et la pensée post-Renaissance se formèrent plus ou moins consciemment sur l’hostilité à l’Islam et aux musulmans car l’héritage des Lumières se garda de dévoiler ses sources, faisant croire à une continuité entre la philosophie grecque et la Renaissance européenne, omettant le fait que sans les traductions du grec à l’arabe et ensuite de l’arabe au latin, les philosophes des Lumières n’auraient peut-être jamais entendu parler de Platon ou d’Aristote.

Certes, on peut toujours rétorquer et Ernest Renan le fit dès le 19ème siècle dans une conférence intitulée “l’islamisme et la science “publiée dans le journal des Débats du 30 mars 1883, que depuis la chute d’Al-Andalus, le monde musulman ne s’est pas particulièrement illustré dans le domaine de l’intellect, ceci est inexact dans la mesure où les grands penseurs musulmans du 16ème au début du 20ème siècle furent occultés en Occident, soit pour des raisons coloniales ou tout simplement parce qu’ils ne connaissaient pas les langues anglaise ou française, registres linguistiques référents pendant toute cette période, j’illustrerai ce propos par deux exemples notoires: la polémique entretenue entre Jamal Eddine Al-Afghani et Ernest Renan après la conférence mentionnée ci-dessus. Autre exemple: le “guerrier”

Abdelkader tel que le décrit Bugeaud lors de la conquête de l’Algérie en 1830 et l’émir Abdelkader ainsi nommée depuis la parution en 1982 de son livre en langue française intitulé: “Les écrits spirituels de l’émir Abdelkader”. On sait aujourd’hui que l’émir Abdelkader fut un grand savant qui termina sa vie comme professeur de théologie à l’université de Damas, l’administration coloniale le considéra comme illettré tout simplement parce qu’il ne connaissait pas le français.

PSYCHODRAME

Force est de constater que depuis les débuts de la colonisation du monde arabo-musulman vers le début du 19ème siècle jusqu’à la Révolution islamique en Iran, l’Occident judéo-chrétien a sous-estimé l’importance de l’Islam dans sa propension à l’édification d’un système politique dépassant complètement la conception naturelle entretenue en Occident, notamment en France, dans la relation religion et pouvoir politique d’une part, mais aussi dans le fonctionnement des lois économiques telles que les dirigeants occidentaux les préconise, c’est vrai avec ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation , c’était tout aussi vrai avant la chute du mur de Berlin en 1989 avec les économies planifiées.

Il convient de souligner que la majorité des pays musulmans ayant accédé progressivement à l’indépendance s’inspirèrent pour le développement de leurs économies nationales tantôt du capitalisme, tantôt du socialisme. Quelques tentatives eurent lieu ici ou là pour introduire des références à la Shari’ah, sans aller très loin en ce sens.

Par contre, depuis l’avènement de la république islamique d’Iran en 1979 et l’écho considérable que cette révolution a suscité au sein des populations (et non de leurs dirigeants) musulmanes, une attitude digne d’un véritable psychodrame collectif se répand à travers les gouvernants proches de l’Occident judéo-chrétien ainsi que dans les chancelleries occidentales, ainsi les pays industrialisés tels que la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne surarmèrent l’Irak de Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran afin de protéger les monarchies pétrolières du”péril islamiste”.

Ces questions de géopolitique internationale agitent constamment la classe politique française qui dès la fin des années 80 opèrent des distinctions très subtiles entre les étrangers européens (EE) et les étrangers non européens (ENE), sous-entendus les musulmans qui, à terme pourraient constituer un danger dans la mesure où leurs coutumes, leurs traditions, s’inscrivent dans une opposition fondamentale aux valeurs françaises (la République, la laïcité).

En fait, ce qui est reproché implicitement aux musulmans c’est de représenter une menace culturelle et spirituelle pour la préservation de l’identité nationale; l’antagonisme séculaire Islam/Occident judéo-chrétien se déclinant sous des formes multiples: banlieues difficiles, quartiers sensibles, exclus en mal d’intégration, foulard islamique, etc…

DISTINCTION

Depuis la révolution islamique d’Iran et surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001, les médias s’en donnent à cœur joie, une dérive sémantique tente par tous les moyens de distinguer les musulmans”modérés” des “islamistes.

Il convient de rappeler avec force que l’Islam est Un, on est musulman ou on ne l’est pas, ces distinctions à l’emporte-pièce ne visent qu’à mieux discréditer La Oumma; qu’il y ait des divergences, nul n’en disconvient mais de là à ce que des non musulmans nous accolent l’épithète: modéré ou radical devient une ingérence inadmissible dans une aire socio-culturelle qui les dépasse.

Il est vrai que la célèbre maxime chrétienne: “Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César” s’avère vide de sens pour un musulman. Le Prophète Muhammad (SWS) n’a pas seulement fondé une communauté, mais aussi un système politique, une société et un Etat dont il était le souverain.

Par ailleurs, il existe une grande confusion lorsque nous utilisons le terme “islamiste” faut-il rappeler qu’il n’est pas traduisible en langue arabe, donc c’est un mot créé artificiellement par l’Occident judéo-chrétien.

Historiquement, Hassan Al Bannâa ( martyr égyptien né en 1906, assassiné au Caire en 1949) est considéré comme le fondateur des frères musulmans. Il explique dans un texte adressé à tous les frères musulmans les degrés du Jihad sans jamais le faire suivre du qualificatif islamique.

Ces différents degrés sont:

a) expulser le mal de son propre cœur,

b) combattre par la parole, la plume, par la main et la parole de vérité que l’on adresse aux autorités injustes,

c) le degré le plus élevé, c’est la lutte armée pour la cause d’Allah (SWT) lorsqu’il s’agit de se défendre face à l’agression extérieure “ET LUTTEZ POUR ALLAH AVEC TOUT L’EFFORT QU’IL MERITE” (KORAN, S22, ay.78).

Autrement dit, les objectifs du fondateur des frères musulmans s’inscrivent dans la lignée de cette vague de réformisme née vers la moitié du 19ème siècle avec Jamal-Eddine AL-Afghani qui ne cessa d’exhorter les musulmans du monde entier à s’unir pour se libérer de l’asservissement imposé par les nations européennes. C’est en ce sens qu’on peut affirmer qu’Al-Afghani se trouve à l’origine d’un principe fédérateur de la Oumma contemporaine.

Ni Al-Afghani, ni Hassan Al-Bannâa ne prêchèrent la violence terroriste. Bannâa justifiait la guerre seulement pour libérer l’Egypte de la puissance coloniale britannique.

ANIMOSITE:

Nombreux sont ceux qui, parmi les orientalistes, islamologues occidentaux ou musulmans, ont écrit des livres pour réfuter les accusations formulées par les Occidentaux à l’encontre de l’Islam. Certains parmi eux accusèrent même beaucoup de leurs contemporains d’être imprégnés de l’esprit de Croisade. La question posée par la revue: “le Message de l’Islam” dans son numéro du mois de mai 1985 relève d’un simple bon sens: “n’est-il pas vrai que les Européens, sans vouloir exprimer franchement leur dédain ou hostilité contre l’Islam, ont cependant prononcé de temps à autre des paroles ne laissant aucun doute sur leur animosité contre le monde musulman? Les propos tenus par le général anglais Allenby, au moment de la prise de Jérusalem durant la première guerre mondiale, dans ces termes: nous nous sommes vengés des musulmans qui nous avaient mis en échec pendant les croisades ne corroborent-ils pas cette affirmation?”

Plus récemment, lorsque le chancelier allemand: Helmut Kohl affirme que l’Union Européenne est un club chrétien, il justifie ainsi le rejet de la candidature présentée par la Turquie.

HERITAGE

Ce concept soulève une question d’actualité, si tous les modèles de l’Occident judéo-chrétien ont échoué, l’Islam peut apporter une réponse à l’universalité humaine, je ne dis pas qu’il faille renier ses racines occidentales, orientales, ou autres, mais rappeler ce que l’Occident judéo-chrétien doit à l’Islam qui, sans cesse a nourri et fécondé ses arts, sa philosophie, ses sciences, sa technique, son droit, ou sa littérature. Sur bien des points, le monde musulman fut longtemps en avance sur une Europe encore mal civilisée, et à Poitiers, les”plus barbares” n’étaient peut-être pas ceux dont triompha Charles Martel…

Prenons conscience de cet héritage afin de redécouvrir l’Islam, de le reconnaître mutuellement en tant que civilisation “Autre” et non pas comme depuis des siècles le fait l’Occident judéo-chrétien: voir en lui l’irréductible ennemi.

DIALOGUE

Mohammed Iqbal: philosophe indien de la fin du 19ème et de la première moitié du 20ème siècle illustre très bien les rapports entre l’Orient musulman et l’Occident judéo-chrétien dans ces quelques lignes extraites de son ouvrage: “Le Livre de l’Eternité”: “l’Orient a tourné ses regards vers Dieu, mais n’a pas vu le monde.

L’Occident a pénétré le monde matériel et a fui Dieu. Ouvrir les yeux sur Dieu, c’est cela la foi. Se regarder sans voile, c’est cela la vie”.

Sans viser cette réconciliation eschatologique, je souhaiterais par cette réflexion mieux servir le dialogue des civilisations et aider, à mon humble niveau, les hommes de tous horizons à construire cet asile de paix et de justice qui manque le plus à notre Terre et qui lui rendra enfin sa nature paradisiaque qu’elle n’aurait jamais dû quitter si l’homme avait su.

Par Luis-Nourredine PITA, Docteur en philosophie