Comparaison de l’existence de Dieu dans les textes sacrés du christianisme et de l’islam (1)

Introduction :

Un chapitre du Mathnawî (1) de Mowlânâ Jalâl al-Dîn Rûmî a pour titre :

« Expliquant que, tandis que les philosophes disent que l’Homme est le microcosme, les mystiques disent que l’Homme est le macrocosme ; la raison en étant que la philosophie se limite à la forme phénoménale de l’homme, tandis que la connaissance mystique concerne la vérité essentielle de sa véritable nature. » (2)

 

 

Pas be sûrat ‘âlam-e soghrâ To-yi

 

Pas be ma’ni ‘âlam-e kobrâ To-yi

 

Ainsi, en apparence tu es le microcosme,

 

Ainsi, en réalité tu es le macrocosme.

 

 

Cet Homme dont le Mathnawî fait l’éloge a toujours eu besoin – personne n’en doute -, de guides au cours de l’histoire. Ces guides ont été tous de la même espèce que cet Homme, ils n’ont rien eu de spécial dans la création comme dit le Prophète (s) de l’islam : « ‘’qol innamâ anâ basharun mithlukum‘’… » Leur seule et grande différence c’est qu’ils sont ceux chez qui les critères de la perfection sont restés à leur plus haut degré, les intentions du Créateur s’y montrent mieux pour ainsi dire.

 

 

 

Les guides sont les Envoyés de Dieu. C’est pourquoi le segment de verset que nous venons de citer se poursuit ainsi : « yûhâ ilayya … »

 

 

 

Voici la traduction des deux segments : « Dis : « Je ne suis qu’un humain comme vous, mais à qui se révèle l’unicité de votre Dieu… » (sourate Fussilat, (Les versets détaillés) ; 41 : 6). La différence est dans la révélation.

 

 

 

Les Envoyés de Dieu sont les intermédiaires entre Dieu et sa créature. Cela dit, l’ensemble de leurs enseignements, ce qui leur est dicté par Dieu Lui-Même, leurs Ordres, conseils, sont la matière des Textes sacrés.

 

 

 

Il y a tout lieu de penser que les philosophes vivent à l’ombre des religions parce que les prophètes sont plus anciens que les philosophes et aussi infiniment plus nombreux. Ainsi, Platon et tous les philosophes grecs vivaient dans une société fondée sur le culte d’un dieu vivant dans la lumière éthérée de l’Olympe : Zeus. Ils croyaient à la Théogonie d’Hésiode.

 

 

 

Les Textes sacrés de toute religion sont sans aucun doute ceux qui exposent leurs idées les plus essentielles et les plus fondamentales. Ils sont antérieurs chronologiquement et logiquement à toutes les autres sources et littératures écrites de cette religion. Ils servent généralement de critère et de référence pour juger des autres écrits produits ultérieurement par les doctrinaires et partisans de cette religion. Ainsi un principe est d’emblée posé pour affirmer le caractère prioritaire du texte sacré : toute idée qui serait en contradiction flagrante avec le sens externe des Ecritures sera rejetée.

 

 

 

En islam particulièrement, toute assertion dont le sens contredirait la lettre ou l’esprit du Coran sera également rejetée, quand bien même elle serait attribuée à un homme dont la piété ne fait pas de doute. Ainsi les règles de l’interprétation du Coran sont, elles aussi formellement fixées.

 

 

 

D’autre part, la croyance en un Dieu unique est le principe fondamental des religions abrahamiques, c’est-à-dire issues de l’enseignement du Prophète Ibrâhim (as) ou Abraham, qui est le père des croyants, comme Adam est le père des hommes.

 

 

 

Dans cette lignée, tout commence avec Dieu, se perpétue par Dieu et se termine en Dieu. En un mot, Dieu est l’AXE de toute la pensée et de toute l’œuvre religieuse. Comme il a été dit, pour les générations venant après la mort de son fondateur, la religion commence avec le texte sacré que l’on collige et préserve jalousement en premier en le diffusant, en le copiant ou en l’apprenant par cœur.

 

 

 

Comme le texte sacré est considéré comme la Parole divine ou que le texte sacré se réclame de cette origine, on peut penser que la croyance en l’existence de Dieu est logiquement antérieure à l’acceptation du Texte sacré, mais en réalité cette croyance découle de la prédication du fondateur de cette religion et de ses premiers adeptes.

 

 

 

En fait, le prophète ou l’homme qui apporte le message du Ciel, le prêche, le diffuse et le fait connaître à son peuple en exposant les raisons de croire en Dieu par des arguments logiques, rhétoriques ou autres, et aussi et souvent par les miracles que réclament et exigent même les incrédules de leurs prophètes comme preuve de l’origine divine de leur mission. C’est dire que les missions des prophètes ne sont pas faciles. Beaucoup sont déniés et mis à morts à cause de l’intolérance des hommes et des luttes de pouvoir. La Bible ainsi que le Coran donnent beaucoup d’exemples de ces luttes pour faire admettre la Parole divine. Le Prophète (s) de l’islam a dit : « Aucun prophète n’a subi la méchanceté des hommes autant que je l’ai subie. »

 

 

 

La distinction de Pascal entre le dieu des philosophes et le Dieu d’Abraham mérite d’être méditée. Le logicien peut démontrer l’existence nécessaire d’une essence éternelle. Mais cette essence n’est Dieu que pour la religion, grâce à la prédication des prophètes. Parce que la religion fixe aussi un certain nombre de règles à respecter et de comportements, de rites et pratiques qui lui sont propres et ne se contente pas d’annoncer aux hommes qu’il existe sûrement un être éternel sans plus.

 

 

 

Le prophète commence son œuvre quand le philosophe la finit. Le philosophe pose les questions générales et conclut à l’existence nécessaire d’une Essence possédant toutes les perfections. Il ferme son cahier et se lève de son bureau, croyant avoir dit tout ce qu’il y avait à dire. Comme un mathématicien qui résout une équation. Mais les prophètes, les envoyés, ne partent pas d’un doute. Ils sont convaincus et ont reçu l’ordre de convaincre d’autres et de les amener à se soumettre au Maître de l’univers afin d’être guidés vers le salut et la vraie vie éternelle. Ils apportent une présence divine au monde. Comme dit Rûmî :

 

 

 

khorde- kâri- hâ- ye ‘elm- hendese yâ nojûm o elm-e tebb o falsafe

 

ke t’aalloq bâ hamin donyâ- st-ash rah be haftom âsemân barnist -ash

 

Les menus travaux de géométrie, d’astronomie, de médecine et de philosophie

 

Qui concernent ce monde ci n’ont point accès au savoir du septième ciel !

 

(Mathnawî Ma’nawî ; Cahier 4 : Section 60 ,  vers 22 et 23)

 

 

 

Le Texte sacré a, pour cette raison, une fonction mémorielle : il est lu avec vénération, il fait l’objet de soins spéciaux parce qu’il rappelle le temps originel et glorieux où a vécu le prophète qui l’a instauré sur terre. Par ses efforts, il lui a donné une assise dans ce monde et aussi il contient la Parole divine. Mais c’est le Texte sacré qui appelle à la foi par la voie de ceux qui le représentent aux yeux des croyants (ulémas, clergé, rabbinat, prêtres, chamanes etc.).

 

 

 

Sans lui, les hommes ne sauraient pas formuler un ensemble cohérent de rites et de croyances. Le Texte sacré apporte un sens, une orientation et une tension à la vie et règle les comportements quotidiens des hommes. Il devient leur repère principal, leur dénominateur commun.

 

 

 

C’est pourquoi la première question, la question à laquelle fait face le prophète ou le prédicateur de la religion est la suivante : est-ce que Dieu existe vraiment ? Bien que cette question se pose aussi en dehors de la croyance dans le Texte sacré, il se peut quand même qu’elle soit impliquée dans le Texte sacré et que ce dernier y réponde en tout ou en partie.

 

 

 

Même s’il ne croit pas en l’existence de Dieu, l’individu peut lire le texte sacré comme un texte ordinaire, et après avoir pris connaissance de son contenu et de ses arguments, décider en toute liberté d’esprit et de cœur de croire en Dieu et d’accepter désormais le texte sacré comme authentique et comme la base de gestion de sa vie. C’est ainsi que devaient en tout cas adhérer les premiers croyants en la prédication du prophète concerné : ils croient parce que l’ambiance créée par le prophète appelle à la foi.

 

 

 

Mais est-ce que cette question de l’existence de Dieu s’est posée dans les textes sacrés du christianisme et de l’islam ? En d’autres termes, est-ce que l’Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran se sont exprimés au sujet de l’existence de Dieu et quelles en sont les positions respectives? Est-ce que ces textes ont apporté une démonstration de l’existence de Dieu ? Ou bien est-ce que dans ces Textes, l’existence de Dieu est inculquée comme nécessaire et allant de soi ? Est-ce que (la croyance en) l’existence de Dieu est considérée comme faisant partie de la nature humaine ? Cette étude se propose d’examiner ce sujet du point de vue des textes sacrés du christianisme et de l’islam.

 

 

 

(à suivre)

 

 

 

Notes :

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1-Voir Mathnawi Ma’nawi, Cahier 4 : 521 : Dar bayân-e ânke hokamâ guyand : âdami ‘âlam-e soghrâ ast va hokamâ-ye elâhi guyand : âdami ‘âlam-e kobrâ ast …

 

2-Mathnawî : La Quête de l’Absolu de Djalâl al- Dîn Rûmî, traduit du persan par Eva de Vitray Meyerovitch, Édition du Rocher, 1990. p. 867, Mathnawî, Livre Quatrième ; 521.