Jurisprudence de la vie

Et que les bénédictions et la paix soient sur le plus noble des créatures, notre Maître Muhammad et sur les membres infaillibles et purs de sa famille.

Le Prophète, l’Elu (P), a eu recours à plusieurs moyens pour inciter les Musulmans à poser des questions et à chercher des réponses aux questions en rapport direct avec la doctrine et la loi.

On en signale :

Premièrement : Le moyen direct :

1- L’initiative : Le Prophète (P) posait un concept ou donnait une qualification non pas en réponse à une question qu’on lui adressait, mais en considérant qu’il est nécessaire pour les Musulmans de connaître ce concept ou cette qualification, comme lorsqu’il a dit : « Le meilleur d’entre vous est celui qui est le meilleur pour sa famille ; et je suis le meilleur d’entre vous pour ma famille », ou « Le Musulman est celui qui ne porte pas préjudice aux Musulmans de sa main ou de sa langue ».

2- L’interrogation : Le Prophète (P) posait aux Musulmans des questions afin de les tester ou de les inciter à comprendre ou à découvrir les dimensions du concept ou pour connaître le potentiel de leurs connaissances dans un domaine donné. Il lui arrivait souvent de leur poser une question du genre : « Savez-vous qui est la personne qui est en faillite ? » ou du genre : « Quelle est l’action que Dieu aime le plus ? ».

On trouve dans la biographie du Prophète (P) d’autres moyens comme lorsqu’il incitait les Musulmans à poser des questions en leur disant : « Trois catégories de gens seront récompensées : Celui qui pose des questions, celui qui répond aux questions et celui qui écoute leur conversation ».

Deuxièmement : Le moyen indirect :

1- La réponse aux questions : Le Prophète (P) répondait aux diverses questions posées par les Musulmans. Le faisant, il voulait généraliser la connaissance en répondant de façon à permettre à toute l’assistance -et non pas seulement à la personne ayant posé la question- d’entendre la réponse. Le Coran a évoqué certaines de ces questions en disant : ((Ils t’interrogent à propos des nouvelles lunes)) (Coran II, 189) ; ((Ils t’interrogent sur le mois sacré, te demandant si l’on peut faire la guerre pendant ce mois)) (Coran II, 217) ; ((Ils t’interrogent sur la menstruation des femmes)) (Coran II, 221) ; ((Ils t’interrogent sur ce qui leur est permis)) (Coran V, 4). Le Coran a répondu à toutes ces questions tout en signalant implicitement l’importance de l’interrogation dans la découverte des vérités scientifiques.

2- L’admission : Lorsque le Prophète (P) admettait une action même en la voyant sans la contester ou lui introduire quelques remaniements, cette action fait alors partie de la Sunna qui est les actes, les paroles et les faits admis par l’Infaillible.

C’est justement cette raison qui explique la grande richesse du patrimoine prophétique constitué par les paroles, les actes et les admissions du Prophète (P) qui ont toutes, du point de vue de la jurisprudence, le statut de lois. Mais le problème qui s’est posé aux Musulmans après l’ère de la législation était celui de l’examen minutieux des Traditions attribuées au Prophète (P) suite aux falsifications, aux omissions et aux ajouts qui ont touché ces Traditions.

Les premiers Musulmans n’ont laissé aucun des domaines de leur vie qui étaient alors assez limités sans demandez des renseignements, de la part du Prophète (P), qui en était la source pure, sur ce qui en est licite ou illicite. Il en était de même pour ce qui est de l’ère des Imâms (p) et cela a mis à notre disposition, par le biais des transmetteurs d’autorité, un grand recueil jurisprudentiel issu du Prophète (P) et des Membres de sa Famille (p). Il est à signalé que ce patrimoine est d’autant plus varié qu’il n’omet pas les plus infimes détails même parmi ceux qui, plus tard, suscitaient le gêne pudique de certains ou paraissaient comme peu importantes pour certains autres.

Totalisante, la jurisprudence ne se réduit pas, comme le donnent à penser les « traités pratiques » (risâla ‘amaliyya), à un ou deux chapitres (celui des pratiques cultuelles et celui des échanges). En fait, il y de la jurisprudence dans la politique comme il y a de la jurisprudence dans la prière et le jeûne, dans les relations internationales et les systèmes économiques comme dans les contrats de mariage et de divorce, dans l’appel à Dieu et le jihâd comme dans les opérations de vente et d’achat….

Et comme la loi du Maîtres des messagers, Muhammad (P), est la dernière des lois divines, cela implique son immuabilité, son universalité et l’aisance de son application. En effet, le Prophète (P) n’a quitté ce monde qu’une fois la religion est accomplie, le bienfait est parachevé et l’Islam est agréé par Dieu comme religion. Cela a été exprimé par le Prophète (p) dans son discours clôturant le Pèlerinage d’Adieu (Hijjat al-Wadâ‘)en disant : « Il n’y a rien qui vous rapprocherait du Paradis et vous éloignerait du Feu que je ne vous ai pas ordonné ; il n’y rien qui vous rapprocherait du Feu et vous éloignerait du Paradis et que je ne vous ai pas proscrit ». Il l’a été aussi dans le Hadîth prophétique qui dit : « Ce qui est déclaré licite par Muhammad est licite jusqu’au Jour de la Résurrection et ce qui est déclaré illicite par Muhammad est illicite jusqu’au Jour de la Résurrection ».

Il n’est pas un secret pour les étudiants des « fondements de la jurisprudence » que les qualifications secondaires -c’est-à-dire, les questions ‘intérieures’ qui surviennent après la question première et qui travestissent le licite en illicite et vice versa- priment sur les qualifications premières et affectent leurs objets obligatoires ou interdits, répréhensibles, recommandables ou licites selon l’intérêt général de l’homme. Quant à la limite de la législation, elle est fixée, dans le jargon des jurisconsultes, en fonction dans la « capacité » de l’homme à l’appliquer. La législation ne peut donc pas dépasser les limites des capacités de l’homme. Ash-Shaykh Murtadâ al-Ansârî (s) l’a signalé dans son livre intitulé « al-Makâsib » en disant : « Tout est permis à celui qui en est obligé », règle déduite du verset coranique qui dit : ((Nul péché ne sera imputé à celui qui en obligé sans être rebelle et transgresseur)) (Coran II, 173).

A partie de ces données, nous nous trouvons devant l’un des traits les plus importants de la législation islamique : L’immuabilité de ses qualifications premières qui n’ont pourtant pas un caractère absolu, comme nous venons de le dire. Tout absolu y est restreint et tout restreint s’y ouvre à l’absolu dans le jeu des correspondances entre la réalité et le texte où le second se meut dans tous les domaines pour répondre aux besoins du second, non pour s’avilir avec sa vilenie, mais pour en standardiser le mouvement et le contrôler par les biais de règles juridiques qui décident de faire ou de ne pas faire telle ou telle chose. Cela a donné aux Mujtahids (savants qui énonce une qualification légale) l’occasion de se déplacer dans leurs investigations jurisprudentielles entre les qualifications premières et les qualifications secondaires tout en emboîtant les pas aux progrès et aux nouveautés, c’est-à-dire à l’aspect muable de la loi qui s’oppose à son aspect immuable représenté par les qualifications immuables. Sans cela, la porte de l’ijtihâd aurait été fermée très tôt laissant les gens errer, selon leur libre volonté et non pas selon celle du Législateur Sacré, entre le licite et l’illicite.

D’où la Noble Tradition qui dit : « Il n’y a aucun fait – pas même la réparation de l’égratignure- qui n’ait reçu une qualification de la part de Dieu » exprime parfaitement cette souplesse qui a assuré et qui assurera la capacité de la législation islamique à aborder toutes les perspectives de la vie grâce à son pouvoir de répondre à toutes les question sans exception.

A cela s’ajoute le caractère aisé de la loi et la facilité de son application. Le Coran l’a exprimé en disant : ((Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion)) (Coran XXII, 78). Quant au Prophète (P), il a dit à ce propos : « Je vous ai apporté la loi facile et tolérante ». Ainsi Dieu ne nous charge pas de tâches insupportables, ce qui assure à la Loi islamique, plus qu’à toute autre loi, religieuse ou non, ses caractéristiques de pérennité, de perfection et d’aptitude à l’application, loin des contraintes de l’impossibilité ou de la difficulté infranchissable.

Pour ce qui est du but de la loi, il consiste à implanter la crainte révérencielle (taqwâ) dans l’âme de l’être humain croyant. Il n’existe pas, les versets coraniques à l’appui, une législation qui serait un but en elle-même : ((Ô vous les hommes ! Servez votre Seigneur qui vous a créés, vous et ceux qui ont vécu avant vous -peut-être Le craindrez-vous)) (Coran II, 21), ((Il y a pour vous une vie dans le talion, ô vous les hommes doués d’intelligence ! Peut-être craindrez-vous)) (Coran II, 179), ((Ô vous qui croyez ! Le jeûne vous est prescrit comme il a été prescrit aux générations qui vous ont précédés ; peut-être craindrez-vous Dieu)) (Coran II, 183), ((Répudiez-les à l’issu de leur période d’attente. Calculez soigneusement le délai et craignez Dieu, votre Seigneur !)) (Coran LXV, 1) ; ((Quiconque respecte les choses sacrées de Dieu fait preuve de la crainte révérencielle contenue dans son cœur)) (Coran XXII, 32)…

Tout cela se retrouve dans la ligne suivie par le Commandeur des croyants (p) lorsqu’il dit : « La preuve de mon Seigneur m’est évidente, je suis sur la voie de mon Prophète et je m’engage derrière lui sur le sentier clair pas après pas », paroles inspirées du verset coranique qui dit : ((Nous t’avons ensuite placé sur une voie procédant de l’Ordre)) (Coran XLV, 18). En suivant cette loi, dans sa totalité indivisible et sans aucune omission, les croyants gagneront le bonheur des deux Mondes. Comment ne pas être heureux lorsqu’on craint Dieu dans tout ce qu’on fait et dans tout ce qu’on ne fait pas !?

Si toutes les qualifications sont déduites de leurs preuves dans le sens où toute qualification ou fatwa donnée par un jurisconsulte est fondée sur un raisonnement précis, il existe aussi des qualifications dont on ne connaît pas les causes ou les raisons. Certains peuvent trouver étrange le fait d’avoir à faire ou à ne pas faire quelque chose sans en savoir la raison et sans avoir, en tant qu’imitateur (muquallid), d’autres choix que de s’en acquitter par obéissance et pour le rapprochement d’avec Dieu, le Très Haut. Sans cela il n’y aurait plus besoin de se référer aux savants et aux jurisconsultes ayant la tâche de déduire les qualifications divines ; et toute la question de l’imitation ne serait plus nécessaire si chaque imitateur avait la possibilité d’agir ou de ne pas agir au gré de son tempérament ou de ses désirs.

Tout ce que nous venons de dire est à la base de l’idée justifiant la publication de ce livre que nous considérons comme un pas sur le chemin. Nous y avons essayé -et le lecteur décidera de la réussite ou de l’échec de cette entreprise- d’ouvrir la Loi, bien qu’elle soit ouverte, vis-à-vis des différents modes et formes de vie, car nous avons la certitude que la Loi répand ses lumières sur la totalité de affaires de la vie. Rien dans la vie n’est sans qualification donnée par la jurisprudence, sinon la Loi serait inapte ou insuffisante.

Nous avons soumis notre proposition à une personne qui, avant d’être une Référence, une Autorité religieuse, était une instance à laquelle la Nation se référait depuis de longues années et se trouvait grâce à ses enseignements sur bonne voie. Pendant toute cette période, cette personne étudiait ses traités jurisprudentiels et préservait assidûment à observer le mouvement de la jurisprudence, de la pensée et de la réalité dynamique. Elle ne le faisait pas de loin, mais en s’y engageant jusqu’au bout. Et lorsqu’elle a été obligée de se présenter comme prétendant à la Marji‘iyya, ( pour devenir une Autorité religieuse), elle était accueillie avec zèle de la part des imitateurs. Il est certain que beaucoup d’entre eux avaient acquis la certitude que son Eminence, Sayyid Muhammad Hussein Fadlallah, était le plus à même de connaître le milieu et, de ce fait, le plus à même d’évaluer ce qui va dans –ou à l’encontre- de l’intérêt, dans sa référence au Noble Coran pour y chercher guidance et inspiration.

En la compagnie de son Eminence, nous vivions des moments de magnificence spirituelle qui nous transportaient dans les mondes de la vie avec tout ce qu’elle comporte en matière de soucie et d’endurance. Son Eminence (que Dieu le garde) se distinguait de beaucoup de nos éminents savants et de nos illustres Autorités religieuses, par le fait qu’il ne s’est pas contenté de lire la jurisprudence dans les livres et les encyclopédies jurisprudentielles connues. Il l’a observée aussi dans la vie et dans les yeux des gens qu’il côtoyait à travers leurs besoins, leurs occupations, leurs endurances.

L’entreprise a commencé tout d’abord sous la forme de réponses à des consultations jurisprudentielles qui ont été publiées dans certains journaux. Depuis, d’autres chapitres ont été ajoutés et le besoin s’est posé de les publier dans un livre. Nous ne pouvons pas dire avec certitude que nous avons couvert tous les domaines de la vie et ses affaires. Ce livre est donc un début de caractère préliminaire. D’autres, plus riches et plus vastes, suivront. Notre ambition est de faire de ce livre un appel ouvert à faire connaître l’avis jurisprudentiel concernant toutes les dimensions de la vie car le genre de questions posées dans ce livre ne paraît pas dans les lettres pratiques des jurisconsultes qui ont l’habitude de les publier dans des annexes ou brochures séparées.

La proposition que nous avons soumise à notre maître, l’Ayatollah grandissime Muhammad Hussein Fadlallah, était une suggestion de ne pas adopter la méthode traditionnelle qui présentait l’avis jurisconsulte sous une forme concise se contentant de préciser si telle ou telle chose est licite ou illicite, mais de faire plutôt de sorte à fournir au lecteur une culture jurisprudentielle, et ce par le biais du dialogue nécessaire pour saisir les structures fondatrices des qualifications et leurs preuves particulièrement développées par son Eminence, surtout celles qu’on taxe de ne pas être conformes aux avis en vigueur.

Louange à Dieu avant et après ; c’est de Lui que nous tirons notre chance d’aller vers ce qu’Il aime et accepte. Il est le Maître des bienfaits ; Il est capable de tout faire.

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