L’HISTOIRE DU CHIISME (10-11-12): le chiisme du 2ème au 10ème siècle

10)- Le Chiisme pendant le 2ème/8ème siècle

Pendant la dernière partie du premier tiers du 2ème/8ème siècle, après une série de révolutions et de guerres sanglantes à travers tout le monde islamique, due aux injustices, aux répressions et aux fautes commises par les Omeyyades, commença un mouvement anti-omeyyades au nom de la famille du Prophète, dans le Khorasan, en Perse. Le chef de ce mouvement était un général perse, Abu Muslim Marwazi, qui se rebella contre le gouvernement Omeyyade et progressa pas à pas dans son combat, jusqu’à renverser le gouvernement Omeyyade[1].

Ce mouvement, qui s’enracinait dans une propagande shi’ite très profonde, accompagnait plus ou moins une revendication de vengeance du sang de la famille du Prophète; d’autre part les gens étaient secrètement invités à prêter allégeance à un membre qualifié de la famille du Prophète. Ce mouvement n’était pourtant pas directement issu de la volonté des Imams. Ceci est attesté par le fait que lorsqu’Abu Muslim offrit le califat au sixième Imam à Médine, celui-ci le repoussa énergiquement, en disant: «vous ne faites pas partie de mes hommes, et ce temps n’est pas mon temps»[2]. Finalement les Abbassides saisirent le califat au nom de la famille du Prophète[3], et au début se montrèrent bons envers le peuple en général et envers les descendants du Prophète en particulier. Pour venger le martyre de la famille du Prophète, ils massacrèrent les Omeyyades, au point d’ouvrir leurs tombes et de brûler les restes qui s’y trouvaient[4].

 

Mais très vite, ils se mirent à imiter les voies injustes des Omeyyades, ne se privant d’aucune injustice ni d’aucune action irresponsable. Abu Hanifah, le fondateur de l’un des quatre rites sunnites, fut emprisonné et torturé par Al-Mansur[5]. Ibn Hanbal, le fondateur d’un autre rite, fut fouetté[6]. Le sixième Imam mourut empoisonné, après avoir enduré tortures et souffrances[7].

 

Les descendants du Prophète furent parfois décapités en groupes, enterrés vivants, ou même emmurés dans des édifices gouvernementaux qu’on était en train de construire.

 

Harun-al-Rashid, le calife Abbaside, sous le règne duquel l’expansion et la puissance de l’empire musulman atteignit son apogée, fixant le soleil, lui adressa cette parole: «Brille où tu voudras, jamais tu ne pourras quitter mon royaume». Ses armées avançaient à l’Est et à l’Ouest, alors qu’à quelques pas de son palais, et à son insu, des officiels avaient décidé d’eux-mêmes de prélever des droits de passage sur les gens qui voulaient traverser le pont de Bagdad. Il arriva même qu’un jour le calife, voulant traverser le pont, fût interpellé et sommé d’acquitter le péage[8].

 

Un chanteur avait par deux vers lascifs, excité les passions du calife Abbasside Amin. Celui-ci le récompensa par la somme de trois millions de dirhams. Le chanteur, exultant de joie, se jeta aux pieds du calife en disant: «Oh! Prince des croyants! vous me donnez tout cet argent?» Le Calife répondit : «Peu importe; nous recevons cet argent d’une partie inconnue du royaume»[9]. La stupéfiante quantité de richesses qui se déversait chaque année de tous les coins du monde islamique dans le trésor public de la capitale favorisait la naissance d’une atmosphère de luxe et de débauche. Une grande partie, en fait, était souvent dépensée pour le plaisir et les folies du calife de l’époque. Le nombre de belles esclaves, dépassait plusieurs milliers. Le Chiisme ne profita nullement de la dissolution du gouvernement Omeyyade et de l’établissement des Abbassides. Ses adversaires et ses oppresseurs ne firent que changer de nom.

 

11)- Le Chiisme au 3ème/9ème siècle

Au début du 3ème/9ème siècle, le Chiisme connut un certain répit.

 

Cette situation plus favorable fut principalement due au fait que beaucoup de livres scientifiques et philosophiques furent traduits du grec, du Syriaque et d’autres langues encore en arabe. Les gens se mirent à étudier passionnément les sciences.

 

Qui plus est, Ma’mun, le calife abbasside de 198/813 à 218/833 avait une éducation Mu’tazilite, laquelle favorisait la démonstration intellectuelle : il fut donc plus enclin à laisser une complète liberté à la discussion et à la diffusion des diverses opinions religieuses. Les théologiens et savants Chiites profitèrent pleinement de cette liberté poussant au maximum les activités culturelles et la propagation des enseignements Chiites.

 

De plus, comme il est rapporté dans la plupart des recueils d’histoire, Al-Ma’mûn obéissant aux requêtes des forces politiques de l’époque. fit du huitième Imam son successeur. II en résulta que les descendants et les amis de la famille du Prophète furent jusqu’â un certain point, libres des pressions gouvernementales et connurent une certaine indépendance d’action. Pourtant, très vite le tranchant du sabre se tourna à nouveau contre les Chiites et les jours anciens qu’on avait oubliés réapparurent. Ceci fut particulièrement apparent dans le cas de Al-Mutawakkil (233/847 – 247/861), qui nourrissait une inimitié spéciale envers Ali et les Chiites. Sur son ordre, la tombe du troisième imam, à Karbala, fut complètement détruite[10].

 

12)- Le Chiisme au 4ème/10èmesiècle

Durant le 4ème/10ème sicle apparurent certaines conditions nouvelles favorisant grandement la diffusion et la consolidation du Chiisme. Parmi celles-ci, il y avait les faiblesses apparues dans le gouvernement et l’administration centrale Abbasside et l’avènement des Buyides.

 

Les Buyides, qui étaient Chiites, avaient une très grande influence à Bagdad, Sa capitale du califat, jusque sur le calife lui-même. Cette nouvelle force, d’une puissance considérable, permit aux Chiites de se dresser contre leurs adversaires, qui avaient auparavant tenté de les écraser en s’appuyant sur le califat, et de propager ouvertement leurs idées religieuses.

 

Selon les historiens, durant ce siècle, la plus grande partie de la péninsule arabique, à l’exception de certaines grandes villes, était shi’ite.

 

Même certaines des villes principales comme Hajar. Oman et Saada étaient Chiites. À Basra, qui avait toujours été une ville sunnite rivale de Koufa, laquelle était considérée comme un centre shi’ite, un groupe assez important de Chiites vit le jour. De même à Tripoli. Nabis, Tiberis, Alep,(Nichapour)et Herat, il y avait de nombreux Chiites: Ahwaz et la côte du Golfe persique, côté iranien, étaient également Chiites[11].

 

Au début du même siècle, Nasir Ut rush, après plusieurs années de propagande religieuse dans le nord de la Perse prit le pouvoir dans le Tatarstan et fonda un royaume qui se maintint durant plusieurs générations. Avant Ut rush, Hassan Ibn Zayd alawi, avait régné pendant plusieurs années dans le Tatarstan[12]. Durant cette même période, les Fatimides, qui étaient ismaéliens, conquirent l’Égypte et fondèrent un califat qui dura plus de deux siècles (296/908 – 567/1171)[13].

 

Souvent dans les grandes villes comme Bagdad, Basra et Nichapour, des querelles et des émeutes éclatèrent entre Chiites et sunnites; les Chiites avaient quelquefois le dessus et en sortaient victorieux.

 

 

[1] Ya’qûbi, vol.III, p. 79; Abi’l-Fidâ’, vol.I, p. 208 et autres histoires.‎

[2] Ya’qûbi, vol.III, p. 86; Murûj al-dhahab, vol.III, p. 268.‎

[3] Ya’qûbi, vol.III, p. 86;Murûj al-dhahab, vol.III, p. 270.‎

[4] Ya’qûbi, vol.III, pp. 91-96; Abi’l-Fidâ’, vol.I, p. 212.‎

[5] Abi’l-Fidâ’, vol.II, p. 6.‎

[6] ‎ Ya’qûbi, vol.III, p. 198; Abu’l-Fidâ’, vol.II, p. 33.‎

[7] Bihâr al-anwâr, vol.XII, sur la vie de l’Imam Ja’far al-Sâdiq.‎

[8] al-Aghâni d’Abu’l-Faraj Isfahâni, Le Caire, 1345-51, l’histoire du pont de Bagdad.‎

[9] al-Aghâni, l’histoire d’Amin.‎

[10] Abi’l-Fidâ’ et autres histoires.‎

[11] al-Hadârat al-islâmiyah d’Adam Mez, Le Caire, 1366, vol.I, p. 97,‎

[12] Murûj al-dhahab, vol.IV, p. 373; al-Milal wa’1-nihal de Chahrestâni, Le Caire, ‎‎1368, vol.I, p. 254.‎

 

[13] Abi’l-Fidâ’, vol.II, p. 63 et vol.III, p.50.‎