L’HISTOIRE DU CHIISME (8-9): Les jours les plus difficiles du Chiisme, L’établissement du gouvernement Omeyyade

8)- Les jours les plus difficiles du Chiisme

La période la plus difficile pour les Chiites fut le règne de vingt ans de Muawiya, pendant lequel ils ne jouirent d’aucune sécurité, la plupart d’entre eux étant connus et pourchassé par l’État. Deux des chefs Chiites contemporains, les Imams Hassan et Hussein, étaient impuissants à changer les circonstances oppressives dans lesquelles ils se trouvaient.

Hussein, le troisième Imam du Chiisme n’eut aucune possibilité de libérer les Chiites des” persécutions durant les dix années où il fut Imam. Sous le califat de Yazid, il fut martyrisé avec tous ses partisans et la plupart des membres de sa famille.

 

Certains, dans le monde sunnite considèrent comme pardonnables les actions arbitraires, injuste et irresponsables accomplies par Muawiya, ainsi que par ses partisans et ses représentantes, parmi lesquels certains étaient, comme Muawiya lui-même, des Compagnons. Ce groupe s’appuie sur certains hadiths du Prophète d’après lesquels tous les Compagnons pouvant pratiquer l’Ijtihad et étaient excusés par Dieu des fautes commises Dieu était satisfait d’eux et leur pardonnait tous les torts et tous les crimes qu’ils pouvaient avoir commis.

 

 

Le Chiisme, toutefois, rejette cet argument pour deux raisons:

1- II est inconcevable qu’un guide de la société humaine comme le Prophète apparaisse pour revivifier la Vérité, la Justice et la liberté et persuader un groupe de personnes d’accepter ses croyances (un groupe dont les membres ont sacrifié leur propre existence pour réaliser ce but sacré) et qu’ensuite, une fois ce but atteint, il accorde à ses partisans et ses Compagnons toute faculté de faire de ces lois sacrées ce que bon leur semble. Il est impossible d’admettre que le Prophète eût pardonné n’importe quel tort ou crime commis par les Compagnons. Une telle indifférence envers les qualités de leur action aurait simplement détruit ce que le Prophète avait construit.

 

2- Les récits (revâyât) qui décrivent les Compagnons comme jouissant de l’immunité et comme étant pardonnés d’avance pour toutes les actions, mêmes illégales ou répréhensibles qu’ils pouvaient accomplir, sont attribués à ces mêmes Compagnons; d’après l’histoire, il apparait que les Compagnons n’ont nullement agi les uns envers les autres comme s’ils étaient inviolables et pardonnés d’avance pour leurs péchés et leurs fautes. Ce sont ces mêmes Compagnons qui s’injurièrent, se calomnièrent, et s’entretuèrent, sans la moindre indulgence les uns envers les autres. Par conséquent, ne fut-ce qu’en jugeant sur la façon dont les Compagnons ont agi et se sont comporté les uns envers les autres, on peut conclure que de tels récits ne peuvent être exacts ni conformes à la manière dont certains les ont compris…

 

L’expression de la satisfaction de Dieu au sujet des services rendus par les Compagnons en obéissance à Son ordre[1] , se rapporte dans le Coran, à leurs actions passées, à la satisfaction de Dieu à leur sujet dans le passé, et non pas à toute action qu’ils pourraient accomplir dans le futur.

 

9)- L ‘établissement du gouvernement Omeyyade

Au cours de l’année 60/681, Muawiya mourut et son fils Yazid devint calife, en conséquence de l’allégeance que son père avait obtenue pour lui auprès des principaux chefs militaires et politiques de la communauté.

 

D’après les documents historiques, on peut clairement se rendre compte que Yazid n’avait aucun sentiment religieux et que du vivant même de son père, il était peu respectueux des principes et des règles de l’Islam. Ses seules préoccupations étaient la débauche et la frivolité. Ses trois années de califat furent la cause de catastrophes sans précédent dans l’histoire de l’Islam.

 

Pendant la première année de son règne, Yazid massacra de la façon la plus atroce qui soit l’Imam Hussein, petit-fils du Prophète, ainsi que ses enfants, parents et amis. II fait même tuer quelques enfants de la famille du Prophète et exposa les têtes coupées dans différentes villes, accompagnées par les enfants, les femmes et les membres de la famille du Prophète qui avaient survécu[2].

 

Pendant la deuxième année de son règne, il ordonna un massacre général à Médine et, pour trois jours, donna à ses soldats licence de tuer, piller et prendre les femmes de la ville[3]. Durant la troisième année il fit détruire et brûler la Kaaba Sacrée[4].

 

Après Yazid, la famille de Marwân prit possession du califat, selon des modalités dont le détail est resté enregistré dans les livres d’histoire. Le gouvernement de ce groupe de onze membres, qui dura environ soixante-dix ans, inaugura une période de malheurs pour l’Islam et pour les musulmans. Ce ne fut qu’un empire arabe dictatorial qui se donna le titre de califat islamique, Pendant cette période, le calife, en principe « représentant du Prophète » et considéré comme le protecteur de la religion, décida, sans aucun respect pour les pratiques islamiques ni les sentiments musulmans, de construire une pièce au-dessus de la Kaaba, afin de s’aménager un lieu de distraction pendant le pèlerinage annuel[5]. L’un de ces califes prit le Coran comme cible de sa flèche, et dans un poème composé contre le Coran déclara : «Au jour du jugement, lorsque tu apparaitras devant Dieu, dis-lui : le calife m’a déchiré»[6].

 

Naturellement, les Chiites qui se distinguent des sunnites avant tout sur les deux questions du califat islamique et de l’autorité religieuse, connurent des jours amers durant cette sombra période, Pourtant, malgré l’injustice et l’irresponsabilité des gouvernements de l’époque, l’ascétisme et la pureté des Guides de la famille du Prophète rendirent les Chiites chaque jour plus attachés à leurs croyances. La mort tragique de Hussein fut d’une importance particulière et joua un rôle majeur dans la propagation du Chiisme, surtout dans les régions éloignées du centre du califat, comme l’Irak, le Yémen et la Perse.

 

On peut déduire ceci du fait que sous le cinquième Imam, avant même la fin du premier siècle de l’Islam et moins de quarante ans après la mort de Hussein, des failles et des divergences virent le jour dans le gouvernement Omeyyade. De toutes les contrées musulmanes, les gens affluèrent en torrent vers la porte du cinquième Imam, pour apprendre les hadiths et les science islamiques. Le premier siècle n’était pas clos que, déjà quelques personnalités influentes dans le gouvernement fondaient la ville de Qom, en Perse, et en faisaient une colonie shi’ite. Malgré tout, la plupart des Chiites continuaient à vivre cachés, pratiquant leur vie religieuse en secret, sans manifestations extérieure.

 

Plusieurs fois, les descendants du Prophète( qui sont appelés en persan Sâdât-i-Alawi) se révoltèrent contre les injustices du gouvernement, mais chaque fois, ils furent vaincus et mis à mort.

 

Le gouvernement de l’époque, sans aucun scrupule, mit tout en œuvre pour les écraser. Le corps de Zayd, le chef du Chiisme Zaydi, fut déterré et pendu; puis après être resté suspendu au gibet pendant trois ans, il fut décroché et brûlé, et ses cendres éparpillées au vent[7]. Les Chiites croient que les quatrième et cinquième Imams furent empoisonnés par les Omeyyades tout comme avaient été tués auparavant les deuxième et troisième Imams[8].

 

Les malheurs engendrés par les Omeyyades devinrent si évidents que la majorité des sunnites, bien qu’ils crussent en général au devoir d’obéissance envers les califes, ressentirent si fort les affres de leur conscience religieuse qu’ils furent obligés de diviser les califes en deux groupes. Ils en vinrent donc à distinguer les «Califes bien dirigés» (khulafa-u-rashidûn) qui sont les quatre premiers califes succédant au Prophète(Abû Bakr, Omar, Othman, Ali), des autres qui commencent avec Muawiya.

 

Les Omeyyades suscitèrent tant de haine publique en raison de l’injustice, de la lâcheté et de l’inconscience qui marquèrent leur règne, qu’après la défaite définitive et la mort du dernier calife Omeyyade, les deux fils de ce dernier et certains autres membres de sa famille s’échappèrent avec grande difficulté de la capitale. Personne ne voulait leur offrir un refuge. Finalement, après avoir longtemps erré dans les déserts de Nubie, d’Abyssinie et de Badjâwah, où plusieurs d’entre eux moururent de faim et de soif, ils arrivèrent au Sud du Yémen.

 

À partir de là, ils assurèrent leurs frais de voyage en mendiant et se dirigèrent vers La Mecque, vêtus en porteurs. Arrivés à La Mecque, ils se fondirent dans la masse du peuple[9].

[1] Voir le Coran, IX, 100.‎

[2] Ya’qûbi, vol.II, p. 216; Abi’l-Fidâ’ vol.I, p. 190 ; Muruj al-dhahab vol.III p.64 et ‎autres histoires.‎

[3] Ya’qûbi, vol.II, p. 243; Abi’l-Fidâ’, vol.I, p. 192; Muruj dhahab vol III, p.78.‎

[4] Ya’qûbi, vol.II, p. 224; Abi’l-Fidâ’, vol.I, p. 192; Muruj al-dhahab vol.III p,81‎

 

[5] Walid ibn Yazid; mentionné dans Ya’qûbi, vol.III, p. 73.‎

[6] Walid ibn Yazid; rnentionné dans Murûj al-dhahab, vol.III, p.228.‎

[7] Murüj al-dhahab, vol.III, pp. 217-219; Ya’qûbi, vol.II, p. 66.‎

[8] Bihâr al-anwâr, vol.XII et autres sources Chiites.‎

[9] Ya’qûbi, vol.III, p. 84.‎