L’HISTOIRE DU CHIISME(5): L ‘avénement du califat d ‘Ali ‎ et sa méthode de gouvernement

Le califat d’Ali commença vers la fin de l’année 35/656 et dura environ quatre ans et neuf mois. Pendant sa période de califat Ali suivit les voies du Prophète[1] et ramena la loi à sa pureté originelle. Il força tous les éléments politiques incompétents qui avaient un pouvoir de direction dans les affaires à démissionner[2] et amorça en réalité une transformation majeure, de nature «révolutionnaire», comportant d’innombrables difficultés[3].

Le premier jour de son califat, dans un discours au peuple, Ali déclara: «0 peuple, sachez que les difficultés que vous avez rencontrées durant la mission du Prophète de Dieu, sont revenues et vous assaillent à nouveau. Vos rangs doivent être complètement inversés afin que les personnes de vertu qui se trouvent à l’arrière soient ramenées à l’avant et que ceux qui se sont placés à l’avant sans en être dignes retournent en arrière. II y a le vrai (Haqq) et le faux (bâtil). Chacun d’eux a ses adeptes, mais c’est le vrai qu’il faut suivre. Si le faux est majoritaire, cela n’a rien de nouveau, et si le vrai est rare et difficile à obtenir, il arrive parfois qu’il l’emporte, engendrant alors l’espoir du progrès. Certes, il n’arrive pas souvent que ce qui s’est éloigné de l’homme revienne à lui»[4]. Ali continua à exercer son gouvernement révolutionnaire; mais comme il advient nécessairement dans tout mouvement de ce genre, des éléments de l’opposition dont les intérêts étaient compromis commencèrent à manifester leur désaccord et à opposer une résistance à son gouvernement. Appuyant leur action sur une revendication de vengeance pour la mort d’Othman, ils fomentèrent des guerres sanglantes qui se poursuivirent presque tout au long du califat d’Ali.

 

Du point de vue shi’ite, ceux qui déclenchèrent ces guerres civiles n’avaient pas d’autre but que leurs intérêts personnels.

 

Le désir de venger le sang du troisième calife n’était rien d’autre qu’un prétexte pour tromper la foule. II n’était même pas question d’un malentendu.

 

Après la mort du Prophète, une petite minorité, partisane d’Ali, avait refusé de prêter allégeance. A la tête de cette minorité se trouvaient Salman, Abu Dharr, Miqdad et Ammar. De même, au début du califat d’Ali, une minorité non négligeable, refusa de prêter allégeance. Parmi les opposants les plus tenaces figuraient: Said Ibn As, Walid Ebn Uqbah, Marwan Ibn Hakan, Amr Ibn As, Busr Ibn Artat, Samurah Ibn Jundab.et Mughirah Ibn Shu’bah.

 

L’étude biographique de ces deux groupes, et une réflexion sur leurs actes et les récits rapportés sur eux dans les livres d’histoire, révèlent pleinement leur personnalité religieuse et leurs objectifs.

 

Le premier groupe faisant partie de l’élite des compagnons du Prophète, des ascètes, des vrais adorateurs de ceux qui étaient totalement dévoués à l’Islam, luttant pour la liberté islamique. Ils étaient spécialement aimés du Prophète. Celui-ci dit: « Dieu m’a appris qu’il aimait quatre hommes et que je dois également les aimer ». On lui demanda leurs noms.Il mentionne trois fois le nom d’Ali et ensuite les noms d’Abu Dharr,Salman et Miqdad (Sunand’Ibn Majah, Le Caire 1372, Vol. Ip. 66).

 

Aicha a raconté que le Prophèteavait dit: «Si deux alternatives sont placées devant Ammar, il choisira précisément celle qui est plus juste et vraie» (Ibn Majah.Vol. Ip.66).

 

Le Prophète a dit: « Il n’y a personne au ciel et sur terre de plus véridique qu’Abu Dharr » (Ibn Majah, Vol. Ip. 68). On ne mentionne pas un seul acte défendu qui ait été commis par ces hommes durant leur vie. Jamais il ne répandit le sang injustement, ni ne commirent d’agression contre quiconque, ils ne volèrent le bien de personne, ni ne cherchèrent à corrompre ou à égarer les gens.

 

Par contre, l’histoire est remplie de récits d’actes indignes commis par certains membres du second groupe, ces actions en opposition avec les enseignements islamiques les plus évidents, ne se comptent pas. Rien ne peut les excuser, sinon le principe suivi pai certains sunnites qui prétendent que Dieu avait agréé tous les Compagnons et que, par conséquent, ceux-ci étaient libres d’accomplir n’importe quel acte, et ne seraient pas punis pour avoir violé les ordres et les lois du Livre Sacré et de la Sunnah.

 

La première bataille du califat d’Ali, qui a été nommée «bataille du chameau» fut causée par les regrettables différences de classe créées sous le gouvernement du deuxième calife, à la suite des nouvelle forces socio-économiques, qui provoquèrent une distribution inégale du trésor public parmi les membres de la communauté.

 

Quand il fut choisi pour le califat, Ali répartit le trésor d’une manière égale[5], conformément à la pratique du Prophète. Mais cette manière de répartir la richesse dérangea beaucoup Talhah et Zubayr. Ceux-ci commencèrent à manifester des signes de désobéissance et quittèrent Médine pour la Mecque, prétextant l’accomplissement du pèlerinage. Ils persuadèrent « la mère des croyants » (Ummul mu’minin), Aicha, qui nourrissait peu de sympathie envers Ali, de les rejoindre; et sous prétexte de venger la mort du troisième calife. ils provoquèrent la sanglante «bataille du chameau»[6]. Et ceci en dépit du fait que les mêmes Talhah et Zubayr, qui se trouvaient à Médine quand le troisième calife fut assiégé et tué, ne firent rien alors pour le défendre[7]. De plus après sa mort, ils furent les premier à prêter serment d’allégeance à Ali au nom des «émigrés» (muhâjirûn)[8] et en leur nom propre[9]. De même, « la mère des croyants », Aicha, lorsqu’elle reçut la nouvelle de la mort du troisième calife, ne manifesta aucune réprobation envers ceux qui l’avaient tué[10].

 

II faut se souvenir que les principaux instigateurs des troubles qui causèrent la mort du troisième calife furent les Compagnons qui écrivirent des lettres à partir de Médine vers toutes les contrées, proches et lointaines, invitant le peuple à se rebeller contre le calife.

 

Quant à la seconde guerre, dite de la « batallie de Siffin », elle dura un an et demi; à son origine se trouve le désir de Muawiya de s’emparer du califat, qui représentait pour lui un instrument politique mondain plutôt qu’une institution religieuse. Mais il prit prétexte de la vengeance du sang du troisième calife comme but principal et entreprit une guerre dans laquelle plus de cent mille personnes périrent, sans raison.

 

Naturellement, dans ces guerres, Muawiya était agresseur plutôt que défenseur, car l’esprit de revanche qui prétend venger le sang de quelqu’un ne peut jamais prendre une forme défensive. Le prétexte de cette guerre était la vengeance du sang. Pendant les derniers jours de sa vie, le troisième calife, afin de mâter le soulèvement contre lui, avait fait appel à Muawiya, mais l’armée de ce dernier, sortie de Damas en direction de Médine, temporisa intentionnellement en chemin jusqu’à ce que le troisième calife fût tué. Alors Muawiya retourna à Damas pour provoquer un soulèvement et venger ainsi la mort du calife. Mais après la mort d’Ali, lorsqu’il eut conquis le califat, le même Muawiya oublia de venger le troisième calife et renonça à poursuivre cette affaire.

 

Après Sifïn, il y eut la bataille de Nahrawân, où un certain nombre de gens, parmi lesquels on pouvait trouver quelques-uns des Compagnons, se rebellèrent contre Ali, à l’instigation de Muawiya[11]. Ils semaient la rébellion à travers tout le territoire islamique, tuant les musulmans, en particulier les partisans d’Ali. Ils attaquèrent les femmes enceintes, leur ouvrirent le ventre et égorgèrent leurs bébés. Ali écrasa ce soulèvement, mais quelque temps plus tard, il fut assassiné dans la mosquée de Kufa pendant la prière, par l’un des membres du groupe de ces Khawâridjs.

[1] Ya’qûbi, vol.II, p. 145.‎

[2] Ya’qûbi, vol.II, p. 1 55 ; Murüj al-dhahab, vol.II, p. 364.‎

[3] Note de l’éditeur: «révolutionnaire» dans ce contexte n’a certes pas la même ‎signification qu’il a généralement en Occident. Dans un contexte islamique un ‎mouvement révolutionnaire est le retour aux sources et le rétablissement ou la ré ‎application de principes immuables d’un ordre transcendant dans tous les ‎domaines de la vie, alors que dans un contexte non islamique, il signifie rébellion ‎contre ces principes, et leur application ou contre tout ordre établi en général.‎

[4] Nahj al-balâghah, le 15e sermon.‎

[5] Murûj al-dhahab, vol.II, p. 362; Nahj al-balâghah, sermon 122; Ya’qûbi, vol.II, p. ‎‎160; Ibn Abi’l-Hadid, vo.I, p. 180.‎

[6] Ya’qûbi, vol.II, p. 156. Abi’l-Fidâ’, vol.I, p. 172; Murûj al-dhahab, vol.II, p.366.‎

[7] Ya’qûbi.vol. II.p. 152.‎

[8] Note de l’éditeur: Les muhâjirûn se réfèrent aux premiers convertis à l’Islam qui ‎émigrèrent avec le Prophètede La Mecque à Médine.‎

[9] Ya’qûbi,vol.II, p. 154; Abi’l-Fidâ’, vol.I, p. 171.‎

[10] Ya’qûbi, vol.II, p. 152.‎

[11] Quand Othman fut encerclé par ceux qui s’étaient rebellés, il écrivit à Muawiya lui ‎demandant de l’aide. Muawiya prépara une armée de 12.000 hommes qu’il ‎envoya à Médine. Mais il la fit camper autour de Damas et vint faire rapport à ‎Othman que l’armée était prête. Othman lui dit: «vous avez stoppé votre armée ‎exprès pour que je sois tué. Ensuite, vous ferez de mon sang versé une excuse ‎pour vous révolter vous-même» Ya’qûbi, vol.II, p. 152; Murûj al-dhahab, vol.III, p. ‎‎25, Taban” vol.III, p. 403.‎