L’Homme et ses Obligations (Le Taklîf):

Nous croyons que le Tout-Puissant Allah ne commande pas à Ses serviteurs de s’acquitter d’une obligation quelconque qui les dépasserait ou qu’ils ne pourraient pas comprendre, sans leur avoir au préalable fait connaître leurs responsabilités par la raison et la preuve(1), car ce serait une pure injustice que d’ordonner à quelqu’un de faire quelque chose qui dépasserait ses capacités, ou sans l’informer au préalable d’une chose qu’il ne saurait faire sans aucune faute de sa part.
Toutefois, un Musulman qui néglige d’apprendre ses obligations religieuses sera comptable devant Allah de sa négligence, et puni en conséquence, car il incombe à tout Musulman de chercher à connaître l’information requise sur les obligations et les Commandements religieux(2).
Nous croyons aussi qu’Allah ordonne à Ses serviteurs de s’en tenir aux règlements et Commandements religieux qui sont destinés à leur propre bien-être et à les conduire à la Paix et à la prospérité. Il leur impose d’obéir à ces Commandements afin d’être guidés dans le Droit Chemin du bien, des bénédictions et de la bienveillance, et d’être protégés contre la malfaisance, la destruction, le chaos, et tous autres méfaits qui pourraient les conduire vers les malheurs dans les deux mondes, et contre lesquels Allah les met en garde, bien qu’IL sache que la plupart d’entre eux ne vont pas Lui obéir.
La Guidance offerte par Allah est Sa Bienfaisance et Sa Miséricorde envers Ses serviteurs, car ceux-ci ne connaissent pas, dans la plupart des cas, leurs vrais intérêts ni leurs moyens de bonheur, et ignorent beaucoup de choses qui leur sont nuisibles. Mais Allah est Miséricordieux et Pardonneur. Ses Bénédictions et Sa Miséricorde sont inhérentes à son Être Absolu. Il est impossible que ces Attributs soient dissociés de Lui. Ses Bénédictions et Sa Miséricorde sont éternelles et ne peuvent être retirées de Ses serviteurs, même si ces derniers n’obéissent pas toujours à Ses Commandements et qu’ils s’attirent eux-mêmes le malheur.
La Prédestination et le Décret Divin
La Prédestination et le Décret Divin (3)
Les fatalistes (Mojabberah) (4) disent qu’Allah est responsable des actes de Ses créateurs et qu’IL contraint l’homme à commettre des péchés, pour lesquels IL le punit par la suite. En outre, toujours selon eux, Allah forcerait l’homme à Lui obéir, en même temps qu’IL le récompense pour avoir été obéissant. Les fatalistes affirment encore qu’en réalité le véritable auteur des actes de l’homme est Allah, et qu’on attribue à ce dernier la paternité de ces actes au sens figuré, parce que l’homme est le moyen de leur exécution.
La raison de cette croyance réside dans le fait de nier la relation naturelle qui existe entre la cause et l’effet, et qu’Allah est la Vraie Cause et qu’il n’y a aucune conception d’autre cause ou raison (Voir: Chahid Murtadhâ Mutahhary,”Man and Destiny”, I.S.P., 1984)
Si les tenants de ce point de vue nient la relation naturelle entre la cause et l’effet dans les choses existantes, c’est parce qu’ils pensent que la croyance en Un Créateur et en Un Allah Unique, le justifie. Mais selon notre croyance, à nous Imâmites, quiconque conçoit Allah de cette façon, Lui attribue en fait l’injustice alors qu’Allah n’est jamais injuste.
Les adeptes du libre arbitre (Mofawwidhah) (5) croient qu’Allah a conféré à l’homme un plein pouvoir et une totale liberté pour qu’ils agissent selon sa propre volonté, et qu’IL a retiré Son Pouvoir et Son Contrôle sur les actes de Ses serviteurs. L’argument qu’ils avancent à l’appui de cette croyance consiste en ceci qu’associer les actes de l’homme à Allah équivaut à attribuer des défauts à Allah, alors que la vraie cause de ces actes est l’homme et les autres êtres, même si toutes les causes reviennent à la Première Cause qui est Allah. Mais pour nous (Chiites Imâmites), les tenants de ce point de vue séparent Allah de Son Pouvoir Absolu(6) et Lui associent d’autres dans la création.
La croyance des Chiites, qui est la ligne tracée par les Saints Imams, professe que ni le premier courant, celui de la contrainte (Jabr), ni le second, celui du libre arbitre absolu (Tafwîdh), ne représentent la ligne correcte, laquelle se trouve dans une position intermédiaire entre ces deux extrêmes, et ce sujet est tellement subtil et délicat qu’il n’a pas pu être compris par les controversistes, c’est-à-dire ceux qui croient au fatalisme (Mojabberah), ceux qui croient au libre arbitre (Mofawwedhah), et ceux qui sont théologiens (Motakallemah). C’est d’ailleurs ce qui les a conduits à tomber chacun dans un extrême. La connaissance et la philosophie n’ont pu planifier la vraie signification de ce délicat sujet qu’après plusieurs siècles de controverse, une fois qu’elles ont jeté une ample lumière sur cette voie moyenne (Amrun bayn-al-Amrayn) (7).
Il n’est pas étonnant que ceux qui ne connaissent pas la Sagesse des Imams (P) et leurs paroles, croient que cette formule “la voie moyenne” est l’une des découvertes de quelques philosophes occidentaux modernes, alors que nos Imams nous l’ont apprise il y a dix siècles!
En effet, c’est notre Imam al-Çâdeq (P) qui a expliqué la voie intermédiaire à travers son célèbre énoncé: “Ni contrainte (Jabr), ni libre arbitre total (Tafwîdh), la vérité se trouve entre les deux extrêmes”(8).
Notes :
• 1- Il est nécessaire de comprendre ici que le mot “taklîf” (les obligations imposées par Allah aux serviteurs) signifie: “La volonté de celui qui veut que quelqu’un d’autre s’acquitte de quelque chose qui comporte une difficulté et une charge”. Il est évident donc que le mot taklîf est associé ici à la volonté. Mais al-Charîf al-Mortadhâ corrige cette définition pour dire que le taklîf n’est bon qu’après la perfection de la raison et l’établissement des arguments. Or Allah a perfectionné les intellects et rempli toutes les conditions requises pour donner aux serviteurs la possibilité de s’acquitter de leurs obligations. Dès lors le taklîf diffère de sa définition présentée ci-dessus.
En tout état de cause, nos uléma ont traité amplement de tous les aspects du taklîf : son but, les actes qu’il couvre, à quel titre Celui qui impose des Obligations les impose etc. Ce sujet qui fait partie des recherches de la Volonté eut droit à une place de choix dans les débats scolastiques, à la suite de l’éclatement d’un différend profond entre les uléma et les chefs spirituels des écoles juridiques, relativement à la Volonté Divine mentionnée dans les versets coraniques, et d’une mauvaise interprétation de ces versets dont voici les plus importants :
«Bientôt les polythéistes diront: “Si Allah l’avait voulu, nous et nos pères, nous n’aurions pas été polythéistes, et nous n’aurions rien déclaré illicite.” Voilà comment ceux qui vivaient avant eux criaient au mensonge jusqu’au moment où ils ont goûté notre rigueur. Dis: “Avez-vous quelque science à nous exhiber? Vous ne suivez que des conjectures et vous vous contentez de suppositions.”» (Sourate al-An`âm, 6:148) et : «Ils disent: “Si le Miséricordieux l’avait voulu, nous ne les aurions pas adorés.” Ils n’en savent rien, ils ne se livrent qu’à des conjectures.» (Sourate al-Zokhrof, 43:20) ainsi que bien d’autres versets qui pourraient laisser croire que la Volonté d’Allah serait à l’origine de mauvaises actions des serviteurs, alors qu’Allah est au-dessus de telles insinuations.
C’est pour cette raison que l’auteur de ce livre a consacré un chapitre à part à la question de taklîf, y résumant la thèse des Chiites sur ce sujet. En effet, l’École d’Ahl-ul-Bayt (les Chiites imamites) a une position claire et connue qui dépouille Allah de tout ce qui est laid ou qui ressemblerait au laid. Elle condamne vigoureusement tout ce qui rattache la Volonté divine à un associationnisme, à une injustice ou à une turpitude. Car pour nous une telle chose est contraire à Sa Sagesse, à Sa Justice et à Sa Grâce.
Cheikh al-Mofîd résume notre croyance à cet égard comme suit : «Allah ne veut que les bonnes actions, les beaux actes. IL refuse les actes laids et récuse les turpitudes. Car Allah dit :
– «Allah ne tolère pas l’injustice envers Ses serviteurs!» (Sourate al-Mo’men, 40:31)
– «Allah veut la facilité pour vous, IL ne veut pas, pour vous, la contrainte.» (Sourate al-Baqarah, 2:185)
– «Allah veut faire connaître les actions de ceux qui ont vécu avant vous, pour vous diriger.» (Sourate al-Nisâ’, 4:26)
– «Allah veut revenir vers vous, alors que ceux qui suivent leurs passions veulent vous entraîner sur une pente dangereuse.» (Sourate al-Naisâ’, 4:27)
– «Allah veut alléger vos obligations, car l’homme a été créé faible.» (Sourate al-Nisâ’, 4:28)
Ainsi Allah nous informe clairement qu’IL ne veut pas la difficulté pour Ses serviteurs, mais la facilité, qu’IL veut la clarté pour eux et non l’égarement, l’allégement de leur charge et non leur alourdissement. Donc, s’IL voulait vraiment qu’ils commettent des péchés, IL contredirait Sa Volonté d’alléger leur charge et de leur faciliter la vie. Par conséquent le Livre d’Allah réfute clairement toutes les allégations et insinuations des égarés qui se permettent de dénigrer la Volonté du Miséricordieux.
Voir pour plus de détails : “Al-Thakhîrah” d’al-Sayyed al-Mortadhâ, p. 105; “Taçhîh al-I`tiqâd” d’al-Cheikh al- Mofîd, Tom. V, pp. 48-51.
• 2- La preuve en est ces versets coraniques: «Si vous ne le savez pas, interrogez les gens auxquels le Rappel a été adressé.» (Sourate al-Nihal, 16:43) et : «Pourquoi quelques hommes de chaque faction ne s’en iraient-ils pas s’instruire de la Religion afin d’avertir leurs compagnons lorsqu’ils reviendraient parmi eux? Peut-être, alors, prendraient-ils garde.» (Sourate al-Tawbah, 9:122).
De même, en témoigne ce que l’Imam al-Çâdeq a répondu (lorsqu’on l’a interrogé sur la signification du verset 146 de la Sourate al-An`âm, «Dis: “L’argument décisif appartient à Allah”». Allah – IL est Glorifié – dira au serviteur le Jour de la résurrection : “Mon serviteur! Le savais-tu?”. S’il répond “oui”, Allah lui dira : “Pourquoi n’as-tu pas appliqué ce que tu savais?!”, et s’il répond qu’il était ignorant, IL lui dira : “Pourquoi n’as-tu pas appris pour appliquer?”. Sur ce, il n’aura pas de réponse. Et c’est là, l’argument décisif”. Voir : “Al-Ma’âlî” d’al-Cheikh al-Tûcî, p. 9, H. 10/10, repris d’ “Al-Behâr”, 2/29, H. 10.
Et selon un Hadith de l’Imam al-Çâdiq : “Acquérez des connaissances sur la Religion d’Allah et ne soyez pas des Arabes, car quiconque n’apprend pas la Religion d’Allah, Allah ne le regarde pas le Jour du Jugement, ni ne purifie pour lui aucun acte». Voir “Al-Kâfî”, 1/24, H. 7.
Il est à noter que les Traités de Pratique des mujtahids affirment que l’assujetti (mokallaf, celui qui est soumis aux obligations religieuses) doit apprendre les cas de doute et d’erreur qu’il pourrait rencontrer lors de l’acquittement de ses obligations, afin d’éviter de commettre une infraction. (Voir, “Menhâj al-Çâlehîn” de Sayyed Ali al-Sestânî, Tom I, “Al-`Ibâdât” (Les actes d’adoration), Article 19, p. 13.
• 3- Al-Qadhâ’ wa-l-Qadar
• 4- Dont les Ach`arites qui ont nié la causalité et limité la cause à Allah seul en affirmant par exemple que le feu ne brûle rien, mais que c’est l’habitude d’Allah qui fait qu’un vêtement brûle au contact du feu, alors que le feu n’y est pour rien. Ils ont soutenu que les actes des serviteurs sont prédéterminés par Allah, sans que ces derniers y aient aucune responsabilité. En un mot, pour eux, le serviteur ne joue pas de rôle dans ses actes.
(Voir : “Bedâyat al-Ma`âref al-Elâhiyyah”, 1/159 et suivantes).
Quiconque ayant lu les écrits des Chiites imamites a pu constater qu’ils récusent la contrainte (Jabr) professée par les Ach`arites, tout en récusant en même temps la “délégation” (tafwîdh) adoptée par les mu`tazalites. En effet on rapporte que lorsqu’on a demandé à l’Imam Ali al-Hâdî si les actes des serviteurs sont créés par Allah, il a répondu : «S’IL en était le Créateur, IL ne les aurait pas désavoués, comme on le constate dans le Coran : «Allah et Son Prophète désavouent les polythéistes» (Sourate al-Tawbah, 9:3). D’ailleurs IL ne désavoue pas la création de leurs essences, mais seulement de leur polythéisme et de leurs actes détestables.» (Voir: “Taçhîh al-I`tiqâd”, 5/43; “Behâr al-Anwâr”, 5/20).
• 5- Ce sont ceux qui ont nié l’existence de la “contrainte” (jabr), et dont la plupart appartiennent aux mu`tazalites qui affirment que l’acte de l’homme est délégué par Allah au serviteur, et que dès lors ni Sa Volonté ni Son consentement n’ont rien à avoir avec cet acte. La “délégation” (tafwîdh) signifie pour eux la levée des interdictions des actes pour les serviteurs et l’autorisation de faire tous les actes qu’ils veulent. C’est du moins l’opinion des Zanâdeqah (manichéens) et des Ibâhites (libres penseurs).
(Voir: “Taçhîh al-I`tiqâd men Moçannafât al-Cheikh al-Mofîd”, 5/47; “Bidâyat al-Ma`ârif al-Ilâhiyyah”, 1/166).
• 6- Il convient de citer à ce propos ce que al-Açbagh Ibn Nabâtah a rapporté : “Lors de la Bataille de Çeffîn, l’un des Compagnons de l’Imam (suite) … Ali qui voulait partir lui demanda : «Est-ce que notre marche vers Çeffîn se déroule selon la Décision (qadhâ’) et le Décret (qadar) d’Allah?» «O certes, répondit l’Imam Ali. Par Allah vous ne montez pas sur une hauteur, ni ne descendez vers le cœur d’une vallée, sans que cela ne se fasse par la Décision et le Décret d’Allah». «C’est à Allah que j’en référerai donc pour ma peine! Car je vois que je n’aurai aucune récompense pour ma participation au combat». A quoi l’Imam Ali répliqua : «Malheur à toi! Crois-tu qu’il s’agisse d’une Décision obligatoire et d’un Décret fatal? Si c’était ainsi, la Récompense et la Sanction n’auraient plus de raison d’être, la Promesse et la Menace n’auraient plus de sens. Allah a ordonné à Ses serviteurs de choisir librement de faire ce qui est prescrit, leur a interdit de faire ce qui est répréhensible par mise en garde, les a chargés de peu de choses, ne leur a pas imposé une obligation difficile à réaliser, leur a donné beaucoup pour le peu qu’ils feraient. Celui qui aura échoué (sans négligence) n’aura pas désobéi, et celui qui fait quelque chose par contrainte n’aura pas obéi. Allah n’a pas envoyé les Prophètes par jeu ni n’a fait descendre le Livre à Ses serviteurs par absurdité. IL n’a pas créé les Cieux et la Terre et ce qu’il y a entre eux en vain, «contrairement à ce que pensent les incrédules. Malheurs aux incrédules, à cause du Feu» (Sourate Çâd, 38:27)».
Le Compagnon demanda alors : «Qu’est-ce que donc le Décret et la Décision qui ont conduit notre marche?» L’Imam Ali répondit : «C’est l’Ordre et le Jugement d’Allah en récitant ce verset coranique : «Ton Seigneur a décrété que vous n’adoriez que Lui» (Sourate al-Isrâ’. 46.17:23)». Le Compagnon se leva alors et récita ces deux vers improvisés :
-«C’est toi l’Imam par l’obéissance duquel nous espérons obtenir la satisfaction du Miséricordieux le Jour de Résurrection.
-Tu nous as expliqué de notre Religion ce qui était confus pour nous; que Dieu te récompense pour nous, d’un bienfait de Sa part». (Voir “Charh Nahj al-Balâghah”, 18/227.
Dans “Tarîkh Demachq” 13/231, Ibn `Asâker attribue la transmission de ce Hadith à Ibn `Abbâs, et al-Cheikh al-Çadouq
l’a mentionné dans “Al-Tawhîd”, p. 380.
• 7- Cheikh al-Mofîd écrit à ce propos dans “Taçhîh al-I`tiqâd”:
“L’intermédiaire entre ces deux positions – la Contrainte et la Délégation – réside en ceci qu’Allah a conféré aux créatures le pouvoir d’agir et la possibilité d’accomplir leurs actes. Mais en même temps IL a déterminé des limites à leurs actes et leur a interdit – sous forme de blâme, menace, promesse – de faire ce qui est détestable. En leur donnant le pouvoir de faire des actes, IL ne les oblige pas de les faire, et IL ne leur délègue pas le pouvoir absolu des actes, pour les empêcher de commettre la plupart d’eux. Il y a seulement posé des limites en leur ordonnant d’accomplir les bons actes et en leur interdisant de commettre les mauvais actes. Voilà la ligne de démarcation entre la Délégation et la Contrainte”.
• 8- “Al-Kâfî”, 1/160 H. 13; “Al-Ihtijâj”, 2/490; “Al-Tawhîd, p.362; “Al-I`tiqâdât” d’al-Cheikh al-Çadouq, p. 10; “Taçhîh al- I`tiqâd min Muçannafât al-Cheikh al-Mofîd”, 5/46, et voir aussi “Man and his Destiny”, de Chahid Murtadha Mutahhary, I.S.P. 1984.