Ali Reza, le martyr de Mashad:

Le huitième imam chiite est le seul à être enterré en Iran. Le pays s’est construit autour de son sanctuaire.

Ali Reza, le martyr de Mashad

Islam Le huitième imam chiite est le seul à être enterré en Iran

Le pays s’est construit autour de son sanctuaire

Révoltes, soulèvements, dissidences… Le calife Haroun ar-Rachid vient de mourir en l’an 809, près de Tus, dans l’Iran actuel, et le grand empire abbasside ne sait pas où donner de la tête.Entre les deux fils du calife, c’est la lutte à mort. Le premier, Al-Ma’mun, est le fils d’une esclave perse et n’a d’yeux que pour la partie de l’est de l’empire. Le second, Al-Amin, est le fils de Zubayda, l’épouse légitime du calife. Il s’est établi à Bag­dad. C’est là-bas que les troupes de son demi-frère iront en finir avec lui. C’est de là-bas qu’elles ramèneront la tête coupée du rival vaincu.

Mais le nouveau calife Al-Ma’mun a encore d’autres soucis, à l’intérieur même des terres de l’est. Jusqu’ici, ses sujets perses n’ont été que moyennement conquis par ceux qui se disent les vrais descendants du prophète, les Ahl al-Bayt (ceux qui viennent de «sa maison»), et qui deviendront les chiites. Il en est différemment avec l’arrivée d’Ali Reza, le huitième imam. N’a-t-il pas proclamé à plusieurs reprises sa bienveillance à l’égard des Perses, qui méritaient à ses yeux une place particulière au sein de l’islam?

Al-Ma’mun se méfie de cet homme de savoir et de mesure qui menace de saper sa légitimité et que son père a pratiquement assigné à résidence. Le fils tente une autre stratégie: l’invitant dans son palais, lui faisant miroiter mille avantages, il va jusqu’à se dire prêt à renoncer à sa place de calife pour l’offrir à l’imam. Ali Reza refuse, mais un accord est trouvé: c’est Reza qui succédera à Al-Ma’mun après sa mort. Les deux hommes, sans doute, savent qu’il n’en sera rien, l’imam étant bien plus âgé que le calife. Mais dans l’immédiat, pour sceller l’alliance, les drapeaux noirs de l’empire abbasside sont descendus et remplacés par la couleur verte des disciples d’Ali Reza.

C’est la première fois qu’un imam chiite participe ainsi à des visées politiques, même à son corps défendant. Mal lui en a pris: il sera empoisonné, dit la tradition chiite, en buvant un jus de grenade. Son tombeau sera érigé dans le petit village de Sanabad, qui sera renommé Mashad (le lieu du martyr). Cruelle ironie: Ali Reza est ainsi enterré aux côtés du père de son assassin. Mais surtout, il sera le seul imam chiite à mourir à l’intérieur des frontières de l’Iran actuel, même si c’est à ses confins, à proximité du Turkménistan et de l’Afghanistan.

Devenu rapidement un lieu de pèlerinage religieux, le tombeau de Reza n’a jamais été exempt d’une auréole politique. Le chemin de l’identification progressive entre le chiisme et l’Iran est toujours passé par ce sanctuaire, principalement au XVIe siècle, lorsque les safavides s’emparent du pays et le convertissent au chiisme, pour faire pièce notamment à un empire ottoman sunnite. Les autres lieux de pèlerinage musulmans étaient situés en territoire «ennemi». Mashad deviendrait le centre spirituel du pays. C’est depuis cette époque que ceux qui ont fait le pèlerinage de Mashad peuvent ajouter à leur nom le titre de «Mash­dadi».

La politique, pourtant, n’est pas la première préoccupation des millions de fidèles qui, chaque année, se rendent à Mashad. Les calculs d’épiciers affirment que deux pèlerinages effectués ici équivalent à celui de La Mecque. Lorsque, de bon matin, s’ouvrent les portes de l’astâne-qods, le «seuil sacré», les fidèles se précipitent, les hommes d’abord d’un côté, puis les femmes de l’autre, pour toucher les grilles dorées du tombeau. Le calife Haroun ar-Rachid (qui repose à côté) est maudit, ainsi que son fils Al-Ma’mun. Mais on vient surtout demander santé et guérison. Les miracles sont nombreux.

Au fil des années et des siècles, le complexe spirituel qui s’est développé autour du tombeau de l’imam n’a fait que gagner en splendeur (et en superficie), à mesure que les pouvoirs politiques s’en emparaient et que les offrandes des pèlerins affluaient.

Comme pour mieux montrer que la mosquée n’avait que peu à voir avec un Iran qu’il voulait occidental, le shah Mohammad Reza Pahlavi contribua certes à agrandir et à aménager le complexe, mais il le ceintura de parcs et d’une sorte d’autoroute. A leur tour, les responsables de la République islamique d’Iran comblèrent le vide qui la séparait désormais de la ville en multipliant les centres religieux, les écoles, les cours de marbre et les fontaines. Tous les bâtiments existants ont été agrandis. La mosquée est aujourd’hui la plus vaste du monde musulman. La bibliothèque principale abrite des millions de livres et de manuscrits théologiques, catalogués de manière informatisée.

Foyer lumineux, culturel et technologique du chiisme au cœur de l’Asie centrale, Mashad est l’emblème de la projection de puissance que veut dégager l’Iran. C’est aussi une mine d’or pour la fondation qui s’occupe de l’ensemble religieux depuis près de treize siècles, l’Astân-e Ghods Razavi. Chargée d’administrer les biens dédiés à l’imam Reza, elle est propriétaire de dizaines de holdings, dans tous les secteurs. C’est l’une des sociétés les plus puissantes du pays.

Devenu un lieu de pèlerinage religieux, le tombeau de Reza n’a jamais été exempt d’une auréole politique.