Qu’est-ce qu’une vie réussie ?‎

Introduction

Tout homme, quel qu’il soit, se pose la question de la réussite de sa vie. Chacun de nous y répondra en fonction du but que nous nous serons fixés. Si nous atteignons notre but nous dirons alors que nous avons réussi notre vie. Il semble que ces buts puissent être de deux ordres : l’un matériel et l’autre spirituel. Par matériel nous entendons tout ce qui est du domaine de l’avoir comme la richesse, le pouvoir, les honneurs, la célébrité etc… qui nous procure plaisir et jouissance. Pour la grande majorité des personnes, ces attributs sont les paramètres d’une vie réussie. Par spirituel, nous entendons ce qui relève de l’esprit et qui appartient donc au domaine de l’Être.

Nous pourrons alors se poser la question de savoir quel but à poursuivre nous enrichit le plus en tant qu’être humain et nous rapproche le plus de Dieu. ?tant entendu que pour l’Islam les deux orientations, matérielle et spirituelle, ne sont pas nécessairement incompatibles. Autrement dit, l’Islam ne nous demande pas de délaisser totalement le monde matériel et de vivre comme des indigents au profit du monde spirituel. En réalité, le monde d’ici bas est le lieu où justement nous devons acquérir le monde de l’au-delà en accomplissant les actes appropriés. Par exemple, celui qui est riche doit, aux yeux de l’Islam, dépenser son argent pour aider son prochain. Cela signifie qu’être riche n’est pas répréhensible dans l’Islam, sauf que les biens matériels ne sont pas des fins en soi mais plutôt des moyens pour nous élever spirituellement. Il n’y a pas de dichotomie entre matériel et spirituel en Islam mais le matériel est tributaire du spirituel car sans ce dernier l’avoir devient la priorité.

 

Il est clair que pour l’Islam le spirituel prime sur le matériel donc forcément une vie réussie ne peut faire l’économie du perfectionnement de l’égo (nafs). C’est la raison pour laquelle, selon un hadith du cinquième et septième Imam (as), ne fait pas partie des gens de la maison (ahl al bayt) celui qui ne fait pas les comptes de son égo (nafs). Quel doit en être la fréquence ? Selon les Imams (as), tous les jours. Donc, sans un travail sur soi il ne peut y avoir de progrès spirituel. Dans le même sens, l’Imam Ali (as) nous incite à poser des questions à notre égo, tels que : est-ce qu’aujourd’hui j’ai dit du mal de mon prochain ? Suis-je venu en aide à quelqu’un qui en avait besoin ?, …

 

En somme, au yeux de Dieu une seule personne pourra se considérer comme ayant réussi sa vie : ce sera celui qui aura fait un travail sur lui (tazkiya é nafs). Pour réussir ce travail, nous devons nous poser deux questions qui feront l’objet de nos deux parties :

 

* Est-ce que j’éprouve du plaisir à adorer Allah ?

 

 

* Est-ce que dans chacune de mes actions je me demande si mon seigneur est satisfait de moi par l’accomplissement de cet acte ?

 

Celui qui s’estime capable de répondre à ces deux questions peut se considérer comme étant sur la bonne voie car cela signifie que nous avons commencé notre travail sur notre égo.

 

* Est-ce que j’éprouve du plaisir à adorer Allah ?

Il y a plusieurs manières d’effectuer le travail sur soi (tazkiya é nafs). L’une d’elle consiste à adorer Allah. En effet, si nous voulons connaître que nous sommes sur la bonne voie ou pas ; si nous voulons savoir l’état d’avancement de la purification de notre égo (nafs), il suffit de nous demander si nous éprouvons du plaisir (lizzate) à adorer Allah (swt). Pour ce faire, nous devons nous questionner sur les choses que nous sommes prêt à sacrifier pour adorer Allah (swt). Autrement dit, demandons-nous ce qui est primordial dans notre vie : est-ce l’adoration d’Allah ? Sa satisfaction ? Ou est-ce plutôt la course effrénée vers ce bas monde ? Ou encore est-ce l’assouvissement de nos désirs, de nos pulsions ? Par la suite, ce pourquoi je suis prêt à délaisser l’adoration d’Allah ? Pour être plus clair, prenons un exemple : imaginons que je sois un fan inconditionnel de football. En plein milieu de la finale de la coupe du monde, arrive l’heure de la prière.

 

Question : parmi ces deux activités, laquelle suis-je prêt à sacrifier ? Est-ce que j’écoute la voix de mon désir pour le football et je retarde mes prières en sachant que le plaisir découlant de ce désir sera momentané, éphémère et qu’il sera remplacé quelques instants plus tard ? Où vais-je me diriger vers mon seigneur pour créer un lien intime avec lui car il ne faut pas oublier que le but des prières, mis à part les bienfaits que nous en retirons, est justement de nouer une relation profonde avec le créateur et le plaisir que nous en retirons est irremplaçable. Répondre à cette question est crucial pour chacun de nous.

 

Pourtant, il nous arrive de voir durant notre vie des individus qui prient pendant des heures et par prière il faut entendre toutes sortes d’actes d’adoration. Mais ce n’est qu’une façade car à la moindre pulsion, l’adoration est mise de côté. Le but est d’assouvir la pulsion, le désir passager. Cela signifie qu’adorer Allah est une bonne chose, cela me procure du plaisir mais pas autant que la satisfaction de mon égo (nafs). Donc il y a une limite à cette adoration qui est celle de mon égo (nafs). Alors que l’objectif de l’adoration est l’atténuation de la puissance de l’égo dans notre vie. C’est pourquoi, tant que cette situation perdurera, cela signifiera que le travail sur soi n’a pas encore atteint le niveau de détachement par rapport à ce monde matériel. Le travail est en route mais il reste encore du chemin à parcourir car nous n’avons pas encore pris conscience existentiellement, au niveau de l’Etre, de l’importance de l’adoration.

 

Intellectuellement nous savons que la meilleure chose à faire est la soumission à Allah (swt) mais ce n’est que théorique. Existentiellement, c’est le néant. Il y a donc un fossé entre la théorie et la pratique, entre l’essence et l’existence. C’est ce que nous explique le prophète Muhammad (saw) : ” ne délaissez jamais vos prières pour une autre affaire. Bien au contraire, laissez tout tomber et accourez vers la prière. ”

 

Ceci dit, Dieu étant miséricordieux, n’aimant pas voir ces créatures dans une quelconque difficulté ou même embourbée dans une souffrance, pourquoi instaure-t-Il les prières du matin alors que Dieu, qui est mon créateur, qui sait mieux que moi ce qui me procure du plaisir, Il sait à quel point le sommeil est chose plaisante, à quel point il est difficile de se réveiller pour effectuer ses prières de l’aube. Pourquoi ? Tout simplement pour nous mettre à l’épreuve et voir si le plaisir (lizzate) du sommeil est plus important que le plaisir (lizzate) d’adorer Allah (swt).

 

C’est pourquoi, si nous avons commencé le travail sur soi (tazkiya é nafs), nous ne devrions pas avoir de mal à effectuer nos prières, il ne nous serait pas difficile de mettre de côté notre sommeil au profit des prières de l’aube. C’est l’exemple que nous donne l’émir des croyants, l’imam Ali (as), le 21 ramadan de l’an 40 lorsqu’il se rend à la mosquée et prend pour témoin l’aube : ” ô aube soit témoin le jour du jugement que tu ne m’as jamais vu en état de sommeil à ce moment-là. ” Cela signifie que notre Imam éprouve plus de plaisir (lizzate) à effectuer ses prières plutôt que de rester au lit.

 

* La satisfaction d’Allah dans chacune de mes actions.

 

 

Avant d’accomplir un acte, je dois me demander si mon Seigneur est satisfait de moi par l’accomplissement de cet acte. Pour illustrer notre propos, prenons un hadith de notre sixième Imam (as): des compagnons vinrent demander à notre Imam ce qu’est le Takwa ? l’Imam répondit : ” accompli ce que Dieu t’a ordonné et n’accomplit pas ce qu’il t’a interdit. ” Donc, le Takwa se résume à l’obéissance ou à la soumission à Allah.

 

Par ailleurs, dans la vie nous rencontrons trois sortes d’individus :

 

* ceux qui ne se posent aucune question. Ils ne se demandent pas avant d’accomplir un acte si Dieu agrée celui-ci ou pas.

* ceux qui se posent des questions. Ils savent que tel acte est interdit mais qui malgré tout l’accomplissent.

 

* Ceux qui savent que tel acte est interdit et qui s’efforce de ne pas l’accomplir. Ils évitent d’accomplir de mauvaises actions car ils ont conscience que Dieu n’en est pas satisfait.

Il est de la responsabilité de chaque individu de se demander dans quelle catégorie se trouve-t-il. De plus, la plupart du temps, nous avons tendance à accomplir beaucoup d’actes d’adoration, à privilégier la quantité aux dépens de la retenue face aux péchés c’est-à-dire nous visons l’adoration sans pour autant chercher à nous préserver des actes illicites. Alors que l’Islam met beaucoup plus l’accent sur la prévention de mauvaises actions. C’est ce que nous explique notre sixième Imam (as): aux yeux d’Allah, se préserver d’une seule bouchée de nourriture illicite à plus de valeur que d’accomplir 2000 rakates de prières surérogatoires. Un autre hadith de notre sixième Imam (as) va dans le même sens : refuser un seul sou illicite à la même valeur que d’accomplir 70 hajjs acceptés.

Ce point met en évidence que le travail sur soi n’est pas uniquement centré sur des actes cultuels mais qu’au contraire se préserver des péchés est tout aussi important. C’est d’ailleurs ce que nous explique le prophète Muhammad (saw) : de retour de l’ascension, le prophète dit à ses compagnons que le jour du jugement il y aura un groupe de personne qui sera amené vers Allah (swt) et les individus formant ce groupe auront en leur possession un très grand nombre de bonnes actions. Pourtant, ils seront tous jeter en enfer. Les compagnons s’en étonnèrent. Le prophète (saw) expliqua qu’en réalité ces individus étaient esclave de leur égo (nafs) dans le sens où lorsqu’une occasion se présentait pour satisfaire leur égo (nafs), ils ne s’en privaient pas. Qu’importe ensuite que cette satisfaction passe par l’accomplissement d’une mauvaise action. Nous voyons très clairement qu’il n’est pas question dans l’Islam de privilégier la quantité des actes cultuels, surtout si ces derniers n’ont aucun impact sur nous. Autrement dit, l’Islam rejette les actions accomplies mécaniquement, sans âme car une action accomplie avec toute notre attention laissera forcément des traces sur notre égo (nafs).

Conclusion

 

Il est indéniable qu’une vie réussie aux yeux de Dieu passe nécessairement par un travail sur soi (tazkiya é nafs). Sans quoi nous n’aurons strictement rien compris à l’Islam qui est avant tout une manière de vivre. Comme la philosophie antique, l’Islam peut nous mener vers l’excellence, on peut même dire vers la perfection autant que possible. L’homme ne pourra atteindre la perfection du fait de sa finitude mais il est perfectible. Il est de notre responsabilité de nous parfaire. Bien évidemment, rien ne nous y oblige, nous pouvons contenter d’errer dans la vie, butinant d’un plaisir à un autre sans jamais réellement obtenir de satisfaction. Il dépend de nous de réussir notre vie ou pas. Nous avons traité la question de la réussite à travers l’Islam, mais d’autres chemins sont possibles. L’essentiel à notre sens est de devenir meilleur.

 

Je vous prierais de bien vouloir réciter une sourate Fatéha pour mon père ainsi que pour tous nos marhoumines.

 

Moustapha ABDOULHOUSSEN